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Eugène Sallias (1840-1908)

Sallias

Le comte Eugène Sallias (ou Salhias) de Tournemire, fils de l’écrivain Evguénia Tour, est un descendant d’une vieille de la noblesse française installée en Russie. Formé en droit à l’Université de Moscou, il devint vite un des auteurs les plus populaires de romans historiques à la façon d’Alexandre Dumas

Ses livres:

Le Français

 

Demandez le programme!

Il est temps d’aborder l’avenir, avec notre programme de parution pour le second semestre 2015. Cinq livres en tout, de septembre à décembre.

Notez que les précommandes sont ouvertes pour le roman d’Alexandre Beliaev!

Alexandre Beliaev

L’Île des navires perdus

Couv Beliaev

ISBN 979-10-94441-23-7, 19 €.

Le bateau semblait rester immobile. Cependant, un faible courant l’emportait vers le cœur de la mer des Sargasses. Ils rencontraient de plus en plus souvent les vertiges verdis et à demi-pourris d’autres navires, qui apparaissaient tels des défunts, avec leurs membrures semblables à des côtes et leurs mâts brisés. Ces vestiges suivaient le bateau durant un moment, puis s’éloignaient lentement au loin.

Un détective et son prisonnier empruntent un transatlantique pour revenir aux USA quand une tempête pousse leur bateau au cœur de la mer des Sargasses, là où se trouve l’Île des Navires perdus…

Pionnier du roman d’aventure soviétique de l’entre-deux-guerres, Alexandre Beliaev (mort en 1942), offre ici un récit captivant.

Édition illustrée, traduction de Viktoriya et Patrice Lajoye

Parution prévue : septembre 2015. Précommandes ouvertes.

Eugène Sallias

Le Français

Couv Salias

ISBN : 979-10-94441-24-4, 19 €.

« Alors, c’est donc la vérité, ce que l’on m’a raconté sur tes extravagances ? Certains disent même que tu es devenu fou… On raconte que tu achètes chaque jour des maisons à Moscou, ainsi que tout le blé et le vin…

– C’est la pure vérité.

– Tu veux t’engraisser aux frais du Français… Avec ce vin et ce blé… Je comprends, même si j’ai du mal à le croire. Je n’aurais jamais pensé que tu puisses commettre un tel acte antipatriotique. C’est presque qu’une trahison…

– C’est vrai, votre Excellence. Mais je n’irai pas jusqu’à ce péché. J’ai acheté tout cela pour le détruire… »

Juin 1812. La Grande Armée franchit le Niémen et attaque l’Empire russe. Septembre 1812. Le Français arrive aux portes de Moscou. Mais la résistance s’organise…

Contrairement à ce que son nom indique, Eugène Sallias de Tournemire (1840-1908) est bien un auteur russe. Il a publié durant sa carrière de nombreux romans historiques qui l’ont fait considérer comme l’Alexandre Dumas russe.

Traduction de Viktoriya et Patrice Lajoye

Parution prévue : octobre 2015.

Patrice Lajoye

Perun, dieu slave de l’orage. Archéologie – histoire – folklore

Lajoye couverture

ISBN : 979-10-94441-25-1, 23 €.

Les Slaves païens de l’Antiquité et du Moyen Âge ont longtemps eu un panthéon commun, lequel était dominé par Perun, le dieu de l’orage, mettre du ciel et des éléments. Connu par des textes anciens, mais aussi par des chansons, des contes, et même des noms de lieu, il a survécu à la christianisation en étant récupéré par deux saints : Élie et Georges, qui ont repris sa place.

Patrice Lajoye travaille au CNRS, il est docteur en Histoire des religions comparées, auteur de divers ouvrages sur les mythologies celtique, scandinave, et maintenant slave.

Parution prévue : novembre 2015.

Nady Baschmakoff

Les Dieux puissants

Couv Baschmakoff

ISBN : 979-10-94441-26-8, 19 €.

« À toi Poséidon et aux Cabires terrestres et marins ! Dieux grands, Dieux puissants, Princes de la mer et du feu ! Vous êtes saints et plus forts que toute puissance : vous êtes saints et plus grands que toute majesté. Recevez le pur sacrifice verbal de l’âme et du cœur qui monte vers vous, oh ! Inexpressibles, Ineffables que le silence seul peut nommer ! Ne permettez pas que périssent ceux qui sont vos enfants, votre race, votre création. Arrêtez la fureur de ces flots qui obéissent à la pensée, à peine conçue en votre sein. »

Hipparque le Spartiate a commis un meurtre. Rongé par le remords, il pense que l’initiation aux mystères de Samothrace lui permettra de retrouver une raison de vivre. Mais sa rencontre avec Atalante, la belle et farouche fille du grand prêtre, va tout bouleverser.

Nady Baschmakoff (1885-1938) publie à partir de 1910 dans une revue en français devenue confidentielle un étonnant roman qui n’a pas son équivalent dans toute la littérature russe. Ni fantastique, ni historique, il nous plonge dans le lointain passé de la Grèce et nous mène au cœur des grands mystères religieux.

Parution prévue : décembre 2015.

Viktoriya et Patrice Lajoye

Les Premiers feux. Penser le futur en Russie, d’Alexandre Ier à Staline

SF couverture 2

ISBN : 979-10-94441-27-5, 19 €

La Russie est une des terres d’élection de l’utopie. Depuis plus de deux siècles, les philosophes, mais aussi et surtout les écrivains, ont tenté de déterminer quel sera le futur, non seulement de leur pays, mais aussi de toute l’Europe. Entre optimisme et désespoir, Les Premiers feux présentent neuf visions du futur, dont certaines sont traduites pour la première fois en français.

Textes de Wilhelm Küchelbecker, Vladimir Odoievski, Dmitri Mamine-Sibiriak, Konstantin Tsiolkovski, Valeri Brioussov, Ferdynand Ossendowski, Mikhaïl Artsybachev, Alexandre Kouprine, et Efim Zozoulia.

Parution prévue : octobre-décembre 2015.

Semen Youchkevitch

Le Cabaretier Heimann

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Édition numérique

1,29€. Disponible sur KoboAmazon KindleGoogle Play et Lulu.com

À la fin du XIXe siècle, le gouvernement du tsar Nicolas II décide de mettre en place un monopole d’État sur les alcools, ce qui entraîne la ruine de cabaretiers juifs, dans l’incapacité d’exercer un autre commerce.

Traduit du russe par Serge Persky. Texte révisé par Viktoriya et Patrice Lajoye

Sur la condition des Juifs en Russie tsariste

Petit à petit, notre série de publications directement en numérique s’agrandit. Bien entendu, il nous sera toujours impossible de publier ainsi un roman ou un recueil de nouvelles uniquement sur ces supports, mais pour ce qui concerne des nouvelles isolées, nous considérons que rien ne nous est impossible. C’est pour nous une manière de défricher le terrain et de faire ressurgir des auteurs méconnus, en espérant pouvoir leur offrir mieux par la suite.

Semen Youchkevitch est de ceux-là. Bien qu’ayant vécu en France, il a été très peu publié en français. Il faut dire qu’il s’est intéressé à un sujet particulièrement sensible à l’époque: les Juifs en Russie. Leur vie n’était pas simple dans l’Empire des tsars, ne serait-ce qu’au quotidien: de nombreux métiers leur étaient interdits. Il faut se souvenir que le mot pogrom lui-même est un mot russe, tiré du verbe громить: « dévaster, piller, écraser ».

Mais tout en plaignant ses personnages, Youchtkevitch ouvre un oeil lucide sur eux et leur incapacité à évoluer. Ce n’est pas pour rien si le cabaretier Heimann attend aide et salut d’un voisin nommé Élie, quand on sait que le prophète Élie, chez les Juifs orientaux, était vénéré comme personnage secourable.

La traduction du Cabaretier Heimann a été publiée originellement dans L’Aurore, fameux journal qui prit la défense de Dreyfuss et qui publia le fameux « J’accuse » d’Émile Zola. Ce n’est évidemment pas pour rien.

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La revoici donc maintenant en numérique, dans une version que nous avons légèrement révisée.

Semen Youchkevitch (1868-1928)

yushkevich

Ardant défenseur de la cause juive en Russie impériale, Semen Youchkevitch publia de nombreuses oeuvres montrant le caractère le plus souvent misérable de cette population. Contraint à l’exil en 1920, il meurt à Paris en 1928.

Ses livres:

Le Cabaretier Heimann (numérique)

Le Cabaretier Heimann, dans Almanach de Lingva n°1

Sergueï Solomine – La Fin de Sherlock Holmes

Nous avons commis une petite erreur dans notre introduction à Sherlock Holmes en Sibérie de P. Orlovets. Dans notre énumération des pastiches russes, nous avons oublié un texte, à côté duquel nous sommes passés pour un bête problème de translittération : en effet, Holmes y est translittéré Хольмс au lieu de Холмс comme cela se fait d’ordinaire. Qu’à cela ne tienne, pour nous faire pardonner, voici ce texte. Il s’agit d’un hommage humoristique dont l’auteur est Sergueï Stretchkine (1864-1913), un important écrivain populaire du début du XXe siècle, auteur de récits d’aventures, de détectives, fantastiques voire de science-fiction. Stretchkine publiait régulièrement sous le pseudonyme de S. Solomine, et c’est sous ce nom qu’est parue, en 1911, la nouvelle La Fin de Sherlock Holmes, dans la revue Le Journal bleu (Синий журнал), n°26. Comme tout le reste de l’œuvre de cet auteur, ce texte était jusqu’ici inédit en français.

Journal bleu

Sergueï Stretchkine (Sergueï Solomine)

La Fin de Sherlock Holmes

 

Tard dans la soirée, le docteur Watson était encore assis dans son bureau et examinait les documents qui devaient servir de matériaux à un nouveau volume des aventures du célèbre détective. La nuit noire régnait derrière les fenêtres du cottage.

Il se détachait souvent de son travail, pour admirer une fois de plus son tout nouveau divan, recouvert d’un excellent tissu persan. Il avait fait cette belle acquisition la veille, et quatre vigoureux gaillards l’avaient livrée du magasin de meuble le matin même.

Le silence n’était rompu que par le bruissement du papier et le fort tic-tac de la vieille horloge. Soudain le docteur Watson tressaillit. Il lui sembla que le siège du divan se soulevait un peu. Habitué aux surprises, il rapprocha de lui son browning, toujours posé sur son bureau.

Le siège continuait de se lever, et par la fente ainsi formée, se montra une main humaine aux longs doigts fins. L’horloge sonna deux coups…

Une voix familière et moqueuse se fit entendre :

« Mon ami, laissez donc votre arme et abaissez le store des fenêtres. »

Watson obéit aussitôt.

Le siège se releva définitivement, et de la caisse du divan jaillit la maigre silhouette de Sherlock Holmes. Le docteur se précipita vers son ami et lui serra la main.

« Mon cher, ne posez aucune question, et donnez-moi à manger en prenant soin de ne déranger personne de la maison.

– Mais pourquoi ?

– Watson, je devais vous voir, mais une douzaine de paires d’yeux me poursuit, des yeux pas moins pénétrants que les miens. La Providence elle-même vous a inspiré l’heureuse idée d’acheter ce divan. Et ce fut très facile pour votre serviteur de s’y retrouver.

Ayant dévoré une collation froide et bu un verre de whisky, Sherlock Holmes alluma une pire bourrée d’un célèbre tabac et s’allongea dans un fauteuil incliné.

« Watson, jamais auparavant votre ami ne s’est retrouvé dans une telle situation, de victoire et de défaite en même temps. Vous avez probablement remarqué que durant ces deux dernières années, à Londres, Paris, Vienne, Berlin, Amsterdam, New York, San Francisco, Tokyo, Vladivostok, Saint-Pétersbourg et dans d’autres grandes villes, nombre de crimes audacieux ont été commis et sont restés impunis ? On a pillé plusieurs banques et sociétés anonymes, on a enlevé quelques belles filles, de grandes aristocrates, nous sommes sans nouvelles de l’héritier d’un milliardaire américain, on a tué et dévalisé Jonas, un vieux Juif qui avait l’habitude d’entreposer dans sa maison isolée des monceaux de bijoux. Près de Varsovie, un train emmenant des passagers extraordinairement riches et chargé de diamants pour une valeur d’un million de livres sterlings a déraillé. Un vol a été commis au Vatican, et on a dérobé dans le trésor d’une famille régnante, un diamant sans égal. Une mine de ces mêmes pierres précieuses du Transvaal a aussi été attaquée. L’Amirauté britannique cherche en vain le torpilleur 107… Dois-je continuer, Watson ? Vous vous demandez quels sont les liens entre ces crimes ? Apparemment aucun. C’est ce que je pensais. Cependant, en vérifiant des détails les concernant, et après avoir fait quelques voyages autour du monde, j’en suis arrivé au fait que tout cela concerne une bande criminelle internationale. Vous connaissez ma méthode : il me suffit de saisir le bout du fil, et toute la pelote est dans ma main ! Je connais de nom et de vue les douze meneurs de ce dangereux gang. Et trois femmes dirigent tout ! La bande a projeté de réaliser le cambriolage d’une banque : grandiose, dix millions de livres sterling, Watson ! Mais pour la mise en œuvre de ce plan, il leur manque une information. Mon cher, le temps passe et dans quinze minutes je devrai disparaître. Il est nécessaire de porter le coup fatal et ces belles diablesses se retrouveront derrière les barreaux. Voici un paquet : vous trouverez dedans tous les détails. Si dans deux jours, je ne reviens pas vers vous, confiez-le aux autorités. Mais pas avant ! Sauf si… »

Sherlock Holmes n’acheva pas sa phrase. L’électricité fut coupée et Watson entendit clairement dans l’obscurité soudaine un son sifflant. Il sentit un parfum doucereux, enivrant : son souffle se coupa et il perdit conscience…

Lorsqu’il se réveilla, dans la matinée, la fenêtre était ouverte. Holmes avait disparu. Le paquet et les documents accusateurs s’étaient aussi envolés.

Holmes attaché

« Ha ! ha ! ha ! » Le rire de trois charmantes femmes se fit entendre. À ces gaies modulations féminines, la voix de basse d’un grand brun athlétique fit écho.

« Bonjour, grand détective ! »

Une belle femme bronzée darda sur Holmes les étoiles noires de ses yeux et lui envoya un baiser aérien. Le détective était ficelé dans un fauteuil.

Une superbe blonde rejeta ses cheveux dorés en arrière : ses boucles se tordirent jusqu’au sol. Elle afficha sous les yeux indifférents de Holmes la blancheur neigeuse de sa poitrine maintenue par un corsage de velours noir.

La troisième femme était une splendide créature. Ses grands yeux aux sourcils arqués et lisses regardaient naïvement le monde avec tendresse. Tout en elle accusait la Parisienne : son nez busqué provoquant, sa petite bouche qui semblait peinte de sang frais.

« M’sieur Holmes, croyez bien que j’ai lu vos merveilleuses aventures avec beaucoup de plaisir, dit-elle. J’ai même beaucoup appris grâce aux méthodes que vous utilisez lors de vos investigations. Quand, au sein du Conseil des Trois, nous discutions de la question de la peine de mort, que vous avez à proprement parler bien méritée depuis longtemps, j’ai été la première à donner ma voix en votre faveur et j’ai convaincu notre présidente de vous laisser la vie.

– Et le Juif Jonas ? Et les vies sacrifiées dans le déraillement du train près de Varsovie ? éclata Holmes d’une voix sépulcrale.

– Nous n’en discuterons pas ! Avec votre esprit pénétrant, vous avez sans doute deviné pourquoi nous vous avons kidnappé ?

– Vous comptez cambrioler une banque. Mais pour ouvrir la porte du coffre, vous avez besoin de connaître les trois mots de passe formant la combinaison secrète de la serrure. Vous ne connaissez que le premier : Alsinor. Et vous espérez m’arracher les deux autres.

– Quelles sont vos conditions ?

– Je ne négocie pas avec les assassins et les voleurs.

– Nous n’attendions pas d’autre réponse. Pourtant, que diriez-vous de vingt pour cent du butin ?

– La richesse ne m’a jamais séduit.

– Et si nous révélons l’emplacement du torpilleur 107 ? Si nous vous rendons l’héritier enlevé ? Ou les trésors du Vatican ?

– Je découvrirai bien cela sans votre aide.

– Vous oubliez que vous ne retrouverez la liberté qu’au prix des deux mots. Sinon…

– Je ne crains pas la mort. » Les yeux gris acier du grand détective brillèrent.

« Pensiez-vous que vous mourrez d’une façon si simple ? Du revolver, d’un poison ou du poignard ? Connaissez-vous la torture par le feu ?

– J’ai été brûlé jusqu’à l’os, au fer rouge, par les Pirates de la Tamise.

– Et l’eau ?

– Sur les îles Sandwich, le gang de Juarez m’a fait avaler tout un baril d’eau. »

La blonde princière leva la main.

« Assez ! Appelez Yadi Samagatu ! »

Une minute plus tard, arriva un Japonais nerveux à la démarche rapide. Il alla droit sur Holmes et commença à presser constamment les mains et les pieds du détective. Puis il fit quelque chose à son cou. Enfin il travailla avec ses doigts la poitrine et le ventre. Enfin, abandonnant sa victime, il resta pantois, désespéré.

« Cet homme est passé par l’école de torture japonaise que nous appelons la ‘Danse de la Mort’. Chaque partie de son corps résiste au ‘Massage de l’Enfer’.

– Dans ce cas, dit la blonde, essayons l’électricité. »

Le brun athlétique posa sur la tête de Holmes un casque de métal et entortilla un fil autour de son corps. La blonde tourna le bouton du commutateur…

Seuls les scélérats invétérés peuvent regarder sans ressentir de l’horreur une séance de torture par l’électricité. Holmes éprouva des souffrances surhumaines, son corps se contracta en une crampe douloureuse, on eût dit que sa tête allait se briser en morceaux. Malgré le fait qu’il était attaché au fauteuil, il bondit vers le plafond.

La blonde coupa le courant.

« Direz-vous les deux mots, Holmes ?

– Jamais ! » fit le détective d’une voix essoufflée avant de s’évanouir.

Lorsqu’il se réveilla, la salle était plongée dans les ténèbres. Les femmes infernales – les chefs de la bande – et leurs associés s’étaient cachés quelque part. Soudain la porte s’ouvrit et Holmes vit s’approcher doucement une silhouette féminine enveloppée dans un voile.

Le tissu blanc tomba, et devant le détective, la blonde apparut dans toute la splendeur de sa beauté majestueuse. Elle n’avait pour seul vêtement que la vague épaisse de sa chevelure d’or. Elle se serra contre Holmes et couvrit son visage de baisers passionnés. L’odeur attirante du corps de la jeune femme, mêlée à un parfum de lotus, lui faisait tourner la tête.

« Chéri, dis-moi les deux mots, et je serai tienne. Je te procurerai par un doux poison une passion folle, comme tu n’en as jamais connue ! »

La beauté délia les bras du détective et triomphait déjà en sentant ses mains enserrer ses hanches nues.

Le claquement sec des menottes d’acier se fit entendre dans la pièce, bracelets que Holmes avait extirpés comme l’éclair d’une poche de côté, et qu’il avait fermés autour des bras de la blonde en les repoussant dans son dos.

« Au nom de la loi, je t’arrête ! » tonna-t-il. Et rapidement il libéra ses pieds de la corde.

Mais la blonde eut le temps de bondir vers le mur et de presser le bouton de la sonnette.

Cinq noirs d’une taille monstrueuse firent irruption. Ils saisirent Holmes et le renversèrent sur le plancher. L’un d’eux déboutonna une des manchettes du détective et dénuda son bras jusqu’au coude.

Les autres chefs de la bande entrèrent et les stores furent ouverts. La pièce fut inondée par les rayons du soleil.

Une voix puissante se fit entendre. « Sahir Naguib, fais-en ton affaire ! » Un Hindou basané s’approcha de Holmes avec une seringue et lui injecta quelque chose sous la peau.

Les noirs jetèrent de force le détective dans un coin et dans le même temps, une grille tomba, séparant la pièce en deux. Le détective se retrouva en cage. De l’autre côté, toute la bande s’était installée sur des chaises… les trois belles femmes devant tous les autres.

Ce fut cette fois la brune, en qui la sagacité de Holmes avait reconnu une Mexicaine, qui se mit à parler :

« Grand détective, vous pensez certainement qu’on vous a injecté un poison mortel et mentalement vous dites adieux à la vie. Détendez-vous ! Il s’agit juste d’une décoction de racines indiennes de suambo. Savez-vous ce que cela signifie ? Son action commencera dans dix minutes. Dites les deux mots, et derrière vous s’ouvrira une porte dans le mur. »

Holmes sombra dans la torpeur d’une terreur froide. Il connaissait l’action du suambo, en injection sous-cutanée, et il s’en était servi une fois sur un Cafre qui au Transvaal avait avalé un diamant clair comme l’eau. Ainsi avait-il pu récupérer la célèbre « Étoile du Sud ».

Aucune torture ne pouvait être comparée à ce que ressentait le détective. La honte et l’humiliation l’attendaient. En présence de dames, même s’il s’agissait de criminelles.

« Duncan ! » cria Holmes d’une voix qui n’était plus la sienne.

« Et le troisième mot ?

– Lady… Lady Millsboro ! »

Aussitôt une porte s’ouvrit dans son dos.

La même nuit, une banque fut cambriolée.

« Mon cher Watson, dit avec découragement le grand détective, autrefois fier, je refuse de continuer à exercer la profession d’expert en matière criminelle. Il y a une force devant laquelle cède le courage britannique. Cette force peut se dire : ‘shocking’[1]. »

Ainsi Sherlock Holmes cessa toute activité et s’occupa de culture maraîchère et d’apiculture…

 

Синий журнал (Le Journal bleu), 1911, n° 26

Traduit du russe par Viktoriya et Patrice Lajoye. © 2015 – Éditions Lingva.

[1] En anglais dans le texte.

Un article de P. Orlovets

Nous ne sommes pas les premiers à avoir traduit P. Orlovets !

Explorer la presse ancienne peut apporter des surprises, même les plus surprenantes. Notre découverte est datée de 1904. À cette époque, Petr Doudorov, qui signait déjà P. Orlovets, n’était pas encore un écrivain populaire, mais un journaliste, correspondant du Rouss (Русь), journal libéral. Il fut le correspondant de guerre du Rouss de 1904 à 1905, durant le conflit russo-japonais dont il revint blessé à la tête. Il n’est pas seul sur place : un certain Nikolaï Kirilov (pseudonyme de Nikolaï Popov, qui fut blessé au combat le 31 août 1904), est aussi sur place au service du même journal.

Radical

Notre affaire commence le 6 décembre 1904 dans les pages du journal français Le Radical, qui depuis des années déjà, scrute attentivement la presse russe libérale. On y trouve une brève comme il en publie tant :

 

« Le correspondant de la Rouss à Moukden rapporte le bruit que pendant une audacieuse surprise nocturne dans le camp japonais du village de Lidiatoun, un détachement de cosaques du Don et de chasseurs volontaires russes a capturé huit canons, tué ou blessé plusieurs Japonais. »

Le Radical, n°341, mardi 6 décembre 1904.

 

Jugeant sans doute ce texte trop bref, Le Radical revient plus longuement sur l’affaire le samedi suivant, en traduisant la note du correspondant en question – P. Orlovets – en intégralité, tout en sachant qu’elle n’a finalement aucun valeur :

 

« La Guerre

Un fait d’armes des Cosaques

Le correspondant militaire de la Rouss télégraphie de Moukden, à la date du 3 décembre, l’intéressant récit suivant d’un fait d’armes des cosaques du Don. Sauf la prise d’une batterie japonaise, démentie par un télégramme ultérieur, c’est un nouveau succès à l’actif des Russes dans les derniers engagements partiels :

Moukden, 3 décembre

Durant toute la journée d’hier, notre artillerie de siège canonna les villages occupés par les Japonais à l’est de la voie ferrée. En même temps, les cosaques du Don, après avoir tourné les postes ennemis à l’ouest de la voie, à proximité du village Lidiatoun, forcèrent ces postes à reculer.

Le soir, on demanda à deux régiments de ligne et aux cosaques de détacher des volontaires pour poursuivre l’action engagée. Les soldats et les cosaques répondirent en chœur qu’ils iraient tous. Les chefs furent donc obligés de faire le choix eux-mêmes, et, à deux heures de la nuit du 3 décembre, le détachement sortit.

En groupes séparés, il se dirigea vers la droite, tourna silencieusement les postes de garde japonais, transperça de la baïonnette tous les hommes qui composaient ces derniers, puis se précipita sur la batterie japonaise située au sud de Lidiatoun. L’ennemi ne s’attendait pas à une attaque aussi téméraire et aussi prompte. Tout le camp dormait au moment où les cosaques du Don s’élancèrent bride abattue sur la batterie. Les fantassins les suivirent. Terrifiés, surpris, les Japonais quittèrent leurs tentes à demi vêtus. Nos soldats les chargèrent aussitôt à la baïonnette, et les cosaques au sabre. Tout le camp fut alarmé. Mais la lutte ne dura que quelques minutes. Les Japonais s’enfuirent en nous abandonnant huit canons et de nombreux objets de camp. C’est du moins ce que vient de me rapporter un Chinois arrivé ici à l’instant même.

La fortune nous a été favorable dans cette attaque. Nous n’avons eu aucune perte à déplorer, sauf, je crois, un soldat blessé légèrement. En revanche, les pertes des Japonais sont sensibles. On me dit qu’ils ont laissé sur place quinze morts ; mais comme la charge des nôtres a été très violente, il est à croire que leurs blessés sont bien plus nombreux.

Parlant des détails de cet engagement, un témoin oculaire me dit notamment : « Nous marchâmes si doucement qu’un rat n’aurait pu entendre nos pas. Tantôt nous nous glissâmes à quatre pattes, tantôt nous courûmes. Nous savions tous que l’objectif était de nous emparer de la batterie et chacun comprenait l’importance d’avancer en silence. Arrivés auprès des postes japonais, nous nous jetâmes sur eux de deux côtés, tandis qu’une partie des nôtres se mit à les tourner. Les Japonais dormaient d’un lourd sommeil et aucun d’eux n’eut même le temps de jeter un cri quand tout fut fini. Nous reprîmes notre marche et bientôt nous aperçûmes la batterie. Tout autour dormait, sauf les sentinelles. Nous prîmes alors à droite, tournâmes la batterie, puis nous nous élançâmes sur elle et le bivouac. » J’ai dit plus haut le résultat de cette expédition nocturne.

Je dois avouer que le séjour constant dans les retranchements avancés et les fusillades incessantes eurent pour conséquence d’habituer les soldats au danger. Dans ces conditions, il se développa parmi eux une sorte de sport guerrier.

P. Orlovetz »

 

On trouvera finalement dans le même numéro un autre télégramme d’Orlovets, daté du même jour, mais non signé cette fois-ci :

 

« Saint-Pétersbourg, 6 décembre.

Le correspondant de la Rouss à Moukden télégraphie le 3 décembre :

Le bruit court avec persistance que les Japonais ont tenté de tourner hier le général Rennenkampf, qui, prévoyant ce mouvement, avait dressé une ambuscade où il attira l’ennemi, qui ne soupçonnait rien.

Les Japonais ont pénétré dans le défilé où ils ont perdu au moins mille cinq cents hommes. »

 

Que valent les informations d’Orlovets ? Rien. Orlovets est alors stationné à Moukden (aujourd’hui Shenyang, Mandchourie), où les forces russes, alors en pleine retraite depuis l’été, se sont retranchées, menant de là, à l’automne, une contre-attaque infructueuse, lors de la bataille du Cha-Ho (octobre 1904) tandis que les Japonais continuent d’assiéger Port-Arthur, qui tombera en janvier 1905. Orlovets n’est donc pas encore sur le front-même, il rapporte des témoignages, visiblement peu fiable, puisque le lendemain même, l’information concernant la prise de la batterie japonaise sera démentie.

Au début du mois de janvier, le Rouss est interdit de vente sur la voie publique : ses positions très critiques envers la bureaucratie et la haute société pétersbourgeoise, accusée d’avoir géré la guerre par dessus l’épaule, lui auront coûté cher. Il sera suspendu en juin 1905, même interdit en décembre 1905, puis le temps de quelques semaines en 1906, et reparaîtra la même année sous le nom de Oko.

Ainsi pour la première fois Orlovets se sera frotté à la censure impériale. Et plus tard, il se souviendra de son expérience durant ce conflit pour nourrir son Sherlock Holmes en Sibérie.