Un article de P. Orlovets

Nous ne sommes pas les premiers à avoir traduit P. Orlovets !

Explorer la presse ancienne peut apporter des surprises, même les plus surprenantes. Notre découverte est datée de 1904. À cette époque, Petr Doudorov, qui signait déjà P. Orlovets, n’était pas encore un écrivain populaire, mais un journaliste, correspondant du Rouss (Русь), journal libéral. Il fut le correspondant de guerre du Rouss de 1904 à 1905, durant le conflit russo-japonais dont il revint blessé à la tête. Il n’est pas seul sur place : un certain Nikolaï Kirilov (pseudonyme de Nikolaï Popov, qui fut blessé au combat le 31 août 1904), est aussi sur place au service du même journal.

Radical

Notre affaire commence le 6 décembre 1904 dans les pages du journal français Le Radical, qui depuis des années déjà, scrute attentivement la presse russe libérale. On y trouve une brève comme il en publie tant :

 

« Le correspondant de la Rouss à Moukden rapporte le bruit que pendant une audacieuse surprise nocturne dans le camp japonais du village de Lidiatoun, un détachement de cosaques du Don et de chasseurs volontaires russes a capturé huit canons, tué ou blessé plusieurs Japonais. »

Le Radical, n°341, mardi 6 décembre 1904.

 

Jugeant sans doute ce texte trop bref, Le Radical revient plus longuement sur l’affaire le samedi suivant, en traduisant la note du correspondant en question – P. Orlovets – en intégralité, tout en sachant qu’elle n’a finalement aucun valeur :

 

« La Guerre

Un fait d’armes des Cosaques

Le correspondant militaire de la Rouss télégraphie de Moukden, à la date du 3 décembre, l’intéressant récit suivant d’un fait d’armes des cosaques du Don. Sauf la prise d’une batterie japonaise, démentie par un télégramme ultérieur, c’est un nouveau succès à l’actif des Russes dans les derniers engagements partiels :

Moukden, 3 décembre

Durant toute la journée d’hier, notre artillerie de siège canonna les villages occupés par les Japonais à l’est de la voie ferrée. En même temps, les cosaques du Don, après avoir tourné les postes ennemis à l’ouest de la voie, à proximité du village Lidiatoun, forcèrent ces postes à reculer.

Le soir, on demanda à deux régiments de ligne et aux cosaques de détacher des volontaires pour poursuivre l’action engagée. Les soldats et les cosaques répondirent en chœur qu’ils iraient tous. Les chefs furent donc obligés de faire le choix eux-mêmes, et, à deux heures de la nuit du 3 décembre, le détachement sortit.

En groupes séparés, il se dirigea vers la droite, tourna silencieusement les postes de garde japonais, transperça de la baïonnette tous les hommes qui composaient ces derniers, puis se précipita sur la batterie japonaise située au sud de Lidiatoun. L’ennemi ne s’attendait pas à une attaque aussi téméraire et aussi prompte. Tout le camp dormait au moment où les cosaques du Don s’élancèrent bride abattue sur la batterie. Les fantassins les suivirent. Terrifiés, surpris, les Japonais quittèrent leurs tentes à demi vêtus. Nos soldats les chargèrent aussitôt à la baïonnette, et les cosaques au sabre. Tout le camp fut alarmé. Mais la lutte ne dura que quelques minutes. Les Japonais s’enfuirent en nous abandonnant huit canons et de nombreux objets de camp. C’est du moins ce que vient de me rapporter un Chinois arrivé ici à l’instant même.

La fortune nous a été favorable dans cette attaque. Nous n’avons eu aucune perte à déplorer, sauf, je crois, un soldat blessé légèrement. En revanche, les pertes des Japonais sont sensibles. On me dit qu’ils ont laissé sur place quinze morts ; mais comme la charge des nôtres a été très violente, il est à croire que leurs blessés sont bien plus nombreux.

Parlant des détails de cet engagement, un témoin oculaire me dit notamment : « Nous marchâmes si doucement qu’un rat n’aurait pu entendre nos pas. Tantôt nous nous glissâmes à quatre pattes, tantôt nous courûmes. Nous savions tous que l’objectif était de nous emparer de la batterie et chacun comprenait l’importance d’avancer en silence. Arrivés auprès des postes japonais, nous nous jetâmes sur eux de deux côtés, tandis qu’une partie des nôtres se mit à les tourner. Les Japonais dormaient d’un lourd sommeil et aucun d’eux n’eut même le temps de jeter un cri quand tout fut fini. Nous reprîmes notre marche et bientôt nous aperçûmes la batterie. Tout autour dormait, sauf les sentinelles. Nous prîmes alors à droite, tournâmes la batterie, puis nous nous élançâmes sur elle et le bivouac. » J’ai dit plus haut le résultat de cette expédition nocturne.

Je dois avouer que le séjour constant dans les retranchements avancés et les fusillades incessantes eurent pour conséquence d’habituer les soldats au danger. Dans ces conditions, il se développa parmi eux une sorte de sport guerrier.

P. Orlovetz »

 

On trouvera finalement dans le même numéro un autre télégramme d’Orlovets, daté du même jour, mais non signé cette fois-ci :

 

« Saint-Pétersbourg, 6 décembre.

Le correspondant de la Rouss à Moukden télégraphie le 3 décembre :

Le bruit court avec persistance que les Japonais ont tenté de tourner hier le général Rennenkampf, qui, prévoyant ce mouvement, avait dressé une ambuscade où il attira l’ennemi, qui ne soupçonnait rien.

Les Japonais ont pénétré dans le défilé où ils ont perdu au moins mille cinq cents hommes. »

 

Que valent les informations d’Orlovets ? Rien. Orlovets est alors stationné à Moukden (aujourd’hui Shenyang, Mandchourie), où les forces russes, alors en pleine retraite depuis l’été, se sont retranchées, menant de là, à l’automne, une contre-attaque infructueuse, lors de la bataille du Cha-Ho (octobre 1904) tandis que les Japonais continuent d’assiéger Port-Arthur, qui tombera en janvier 1905. Orlovets n’est donc pas encore sur le front-même, il rapporte des témoignages, visiblement peu fiable, puisque le lendemain même, l’information concernant la prise de la batterie japonaise sera démentie.

Au début du mois de janvier, le Rouss est interdit de vente sur la voie publique : ses positions très critiques envers la bureaucratie et la haute société pétersbourgeoise, accusée d’avoir géré la guerre par dessus l’épaule, lui auront coûté cher. Il sera suspendu en juin 1905, même interdit en décembre 1905, puis le temps de quelques semaines en 1906, et reparaîtra la même année sous le nom de Oko.

Ainsi pour la première fois Orlovets se sera frotté à la censure impériale. Et plus tard, il se souviendra de son expérience durant ce conflit pour nourrir son Sherlock Holmes en Sibérie.