Arkadi et Boris Strougatski – Une interview (1979)

En attendant de pouvoir publier la suite du témoignage de Karen Simonian, poursuivons notre travail de plongée dans le passé de la SF et d’archivage de documents anciens devenus rares, avec une interview d’Arkadi et Boris Strougatski parue dans le numéro 297 (janvier 1979) de la revue Fiction, une interview publiée préalablement dans la revue polonaise Panorama. Nous n’avons pu retrouver de références plus précises. L’interview en elle-même est livrée sans mention de traducteur et est placée à la suite de la deuxième partie d’un gros dossier consacré à Stanislaw Lem par Roger Bozzetto. Les Strougatski et Lem dans le même numéro de Fiction, et pourtant les hasards du calendrier ont fait que celui-ci s’est retrouvé avec cette couverture :

fiction297-1979.jpg

Cela ne pouvait plus mal tomber…

Le passage par le polonais, puis par le français, fait que le niveau de langue n’est pas extraordinaire. Malgré cela, nous n’avons pas touché au texte, ne nous contentant que d’en uniformiser la typographie et de supprimer quelques authentiques bévues (comme « Jules Verne » écrit systématiquement écrit « Jules Vernes »).

Il n’empêche que, si l’on fait exception du passage concernant leur méthode d’écriture, que l’on retrouve partout, les deux frères y disent bien des choses intéressantes. On notera qu’ici ils croient encore largement à l’aspect « futurologique » de la SF, aspect dont ils se démarqueront largement par la suite.

Commençons par les définitions élémentaires : selon vous, qu’est-ce que la science-fiction ?

C’est un genre littéraire où se retrouvent des éléments de l’étrange, de l’impossible ou de l’irréel. D’autre part, il est sous-tendu par une action rapide et captivante. Dans la littérature générale, la science-fiction occupe une place à part. Et ce qui est le plus important, la science-fiction n’est pas une « deuxième science », elle est libre au contraire de propager des théories nouvelles ou d’inventer de nouvelles techniques. Son rôle consiste d’abord à saisir les nouvelles tendances dans l’évolution de la science et de la technique. Si un écrivain de science-fiction invente quelque chose, c’est d’abord l’avenir, avec ses probabilité.

Un jeune lecteur de science-fiction nous a proposé un jour : « si, comme vous dites, la littérature de science-fiction ne suit pas les conventions de la littérature générale, limitée par les bornes de la réalité, alors, qu’est-ce qui vous empêche d’écrire un roman de deux ou trois mille pages ? »

On devine, dans cette question, le désir un peu naïf d’avoir une oeuvre tout à la fois passionnante et infiniment longue. Ce jeune garçon croit que, si l’auteur de SF est, par excellence, libéré des règles du réalisme, il peut aisément « sévir » dans le Cosmos et les galaxies et, puisque l’imagination n’a pas de bornes, alors son oeuvre peut se poursuivre indéfiniment. Mais bien au contraire, dans ce domaine, les choses se présentent différemment.

Quelles sont donc les règles et les interdits qu’impose la SF ?

C’est une question que les écrivains et les critiques tentent de résoudre depuis près de vingt ans. A notre avis, tout ce qui est indispensable à la littérature réaliste (vraisemblance d’images et de sujets, pensées raisonnables, langage clair et subtil), tout cela est également nécessaire à la SF. Du même coup, tout ce qui nuit au réalisme (schématisme, idées maladroites, personnages stéréotypés) est également nuisible à la SF.

La règle pour un écrivain réaliste est : n’écris que ce que tu connais bien. La même règle s’applique à la science-fiction, en ajoutant toutefois : … ou bien ce que personne ne connaît.

Nous ne traitons pas la science-fiction comme une sous-littérature, bien que ce genre, certes, possède une spécificité. Dans un sens, cette spécificité est apparentée au genre historique qui traite des choses qui étaient ou pourraient être ou pourraient avoir lieu dans des conditions, bien sûr, historiques et sociales connues. Le roman de science-fiction parle aussi de choses qui pourraient avoir lieu, mais dans le cadre d’hypothèses ou de prédictions. Pour ces deux genres, le « degré de convention » est assez élevé. Cela est dû, tout d’abord, à un manque d’information indispensable et, ensuite, à la nécessité d’approcher les événements décrits en fonction de la mentalité du lecteur d’aujourd’hui, de sa vie réelle et de ses points de vue.

Néanmoins, le héros n’en est pas simplifié pour autant. S’il n’est pas armé d’une épée ou d’un pistolet, il dispose des dernières découvertes de la science et de la technique. Et cela autorise l’auteur à donner libre cours à la prédiction futurologique. La science-fiction représente donc l’Art de l’Imagination. Il faut lui consacrer davantage d’attention, si l’on pense, par exemple, à Jules Verne qui a inventé le sous-marin bien plus tôt que ne l’ont fait les ingénieurs. Il y a quelques temps, nos sociologues ont étudié les milieux scientifiques de Tcheliabinsk et Sverdlosk. Tous les ingénieurs, savants et inventeurs ont répondu qu’ils aimaient beaucoup la science-fiction et en lisaient systématiquement.

Comment expliquez-vous la popularité de la littérature de science-fiction ?

C’est la grande variété des thèmes qui en est la cause. Chez Jules Verne, ce sont les inventions qui surprennent, chez H. G. Wells, les structures sociales originales, chez Stanislas Lem, la philosophie. Mais il existe une science-fiction satirique, ou humoristique… La SF contente et satisfait les lecteurs de niveaux intellectuels très divers. C’est pourquoi elle est à présent autant lue et appréciée. Et si l’on se réfère aux enquêtes sociologiques mentionnées tout à l’heure, on en découvre aussi l’utilité. Par exemple, le constructeur général de la cosmonautique russe, l’académicien Sergueï Koroliov [Korolev], avait, dans ses archives privées, des extraits, recopiés par lui-même, de notre roman La Planète des nuages pourpres [Le Pays des nuages pourpres].

Quels sont vos projets ?

Actuellement, ceux-ci sont très liés avec le cinéma. Simultanément, trois compagnies de films tournent nos oeuvres. Les studios M. Gorki à Moscou adaptent Il est difficile d’être un dieu ; en Estonie est en tournage L’Hôtel : A l’alpiniste perdu [L’Auberge de l’alpiniste mort] ; enfin Mosfilm vient de commencer Pique-nique sur le bas-côté [Stalker].

On nous demande souvent comment nous faisons pour écrire en tandem. Il est difficile de répondre dans la mesure où nous n’imaginons pas de travailler en solitaires. Nous écrivons ensemble depuis vingt ans déjà et nous avons éprouvé toutes les variantes du travail solitaire. Mais le travail à deux s’est révélé plus productif et bien meilleur. L’un de nous est à la machine à écrire, l’autre à côté. L’un ou l’autre propose une phrase et l’usinage de celle-ci commence : tournure, rythme, remarques… Puis elle est fixée sur le papier et une autre phrase suit. C’est ainsi tous les matins. Le soir, nous discutons ensemble le plan pour le lendemain et ceux des oeuvres prochaines. Nous travaillons ainsi depuis 1960. Mais bien que nous complétions l’un et l’autre, nos tempéraments et nos professions sont différents. Arkady (l’aîné) est interprète de japonais ; Boris est astro-physicien, travaille et vit à Léningrad. Nous nous retrouvons à Bologne, petite ville à mi-chemin entre Léningrad et Moscou où habite Arkady. Quand vient le moment d’écrire, nous nous apercevons que tout est déjà composé dans nos imaginations – scènes, paysages, situations… Il ne nous reste plus qu’à écrire. Actuellement, nous rédigeons un conte sur des préoccupations contemporaines.

Quels prix littéraires vous ont le plus touchés ?

L’élection comme membres de la Société Mark Twain, mais notre plus grande satisfaction est encore de constater que l’on aime et que l’on lit nos oeuvres.

Une réflexion au sujet de « Arkadi et Boris Strougatski – Une interview (1979) »

  1. Mon nom est Yurii Fleishman, je suis le coordinateur du groupe « Lyudeny » pour l’étude de l’art et Boris Strugatsky Arkady. A propos de notre groupe vous pouvez lire ici: http://www.rusf.ru/abs/ludeni.htm
    Cette interview a donné Arkady N. Strugatsky déclaré à l’agence de presse Novosti (APN) Evgeny Rykov 2 Mars 1978. L’interview a été publiée dans le magazine polonais « Panorama » (Katowice) dans la chambre 35 de 27.08.1978 année.
    En outre, il réimprimé journal « Expres Cislo » (pays, probablement – Tchécoslovaquie) dans la chambre 46 de 1978.
    Scans de ces publications peuvent être téléchargées à l’adresse suivante:
    « Panorama » – https://yadi.sk/d/WebwnBSxyUjja
    « Expres Cislo » – https://yadi.sk/d/WH2CdfVayDgrP
    Publications de cette interview dans « Fiction » № 297 que nous avons. Ce serait bien si vous avez envoyé scans des pages du magazine.
    Tous les meilleurs!
    Yuri Fleischman
    Post-scriptum Je présente mes excuses pour le mauvais français, traduit en utilisant Google traducteur.

    Меня зовут Юрий Флейшман, я координатор группы «Людены» по изучению творчества Аркадия и Бориса Стругацких. О нашей группе вы можете прочитать здесь: http://www.rusf.ru/abs/ludeni.htm
    Это интервью Аркадий Натанович Стругацкий дал корреспонденту информационного Агентства Печати Новости (АПН) Евгению Рыкову 2 марта 1978 года. Интервью было опубликовано в польском журнале « Панорама » (Катовице) в номере 35 за 27.08.1978 года.
    Кроме того, его перепечатала газета « Expres cislo » (страна, вероятно – Чехословакия) в номере 46 за 1978 год.
    Сканы этих публикаций можно скачать по адресам:
    « Panorama » – https://yadi.sk/d/WebwnBSxyUjja
    « Expres cislo » – https://yadi.sk/d/WH2CdfVayDgrP
    Публикации этого интервью в « Fiction » № 297 у нас нет. Было бы хорошо, если вы прислали сканы страниц журнала.
    Всего доброго!
    Юрий Флейшман
    Ludeny2010@mail.ru
    P.S. Прошу извинить за плохой французский, переводил с помощью Google-транслятора

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