Un Ostap Bender à Paris en 1932

Les amateurs de culture et de littérature russe connaissent forcément Ostap Bender, ce sympathique escroc et flamboyant aventurier, personnage principal de ce chef-d’oeuvre de la littérature satirique que sont Les Douze chaises (Двенадцать стульев, 1928), roman d’Ilya Ilf et Evguéni Petrov – qu’il est possible de lire dans la traduction d’Alain Préchac aux éditions Parangon.

Résumons brièvement l’histoire: Hippolyte Vorobianinov, veuf et ancien maréchal de la noblesse, maintenant simple employé de bureau, apprend que sa belle-mère, lors de la Guerre Civile, a caché dans le rembourrage d’une chaise faisant partie d’un lot de douze, un trésor en diamants. Après avoir fait connaissance avec Ostap Bender, un escroc professionnel, il va se lancer à la poursuite des douze chaises, dispersées à travers le pays, ce qui sera à l’origine de situations toutes plus cocasses les unes que les autres.

En 1976, l’acteur Andreï Mironov a magnifiquement interprété ce personnage au cinéma:

Il semble que le roman d’Ilf et Petrov ait servi de source d’inspiration à un émigré russe, à Paris, en 1932. Nous lisons en effet dans le journal Le Populaire, en date du 27 mai 1932, l’article suivant:

« Un escroc international sous les verrous

Hier, des inspecteurs de la Sûreté générale, procédaient à l’arrestation, pour usage de faux passeport, d’un individu de nationalité russe, déjà connu des services de police, sous le nom de Serge Maximoff, comme pratiquant l’escroquerie dite au trésor caché.

Au cours de la fouille à laquelle il fut soumis, cet individu fut trouvé porteur d’une pièce d’identité au nom de Genrich Martens et comportant sa propre photographie.

Des recherches furent aussitôt effectuées aux archives de la Sûreté générale aux fins d’identification, qui permirent d’établir qu’en réalité Maximoff répondait à l’identité de Nicolas Vidine, né le 29 novembre 1902 en Russie. Cet individu qui a commis d’importantes escroqueries à l’étranger se réfugiait toujours à Paris entre deux expéditions.

C’est an cours de l’un de ses séjours, en mai 1931, qu’il tenta de commettre l’escroquerie dite au trésor caché qui lui valut de se signaler à l’attention de la police.

La victime en devait être le directeur d’une banque mais celui-ci pris de soupçon laissa tomber la proposition et prévint la Sûreté.

Le thème adopté par Vidine pour amener ses dupes à composition peut se résumer ainsi. Un trésor représentant plusieurs centaines de millions en pierreries et en monnaies, est actuellement en lieu sûr en Bulgarie. Il a été arraché des mains d’un équipage bolcheviste alors qu’il était transporté à travers la Mer Noire. Il provient de la mise à sac de banques et de châteaux du début de la Révolution russe. Il est actuellement enfermé dans des caisses de fer enterrés dans des trous le long du Danube.

II s’agit de les exhumer clandestinement et de les mettre hors d’atteinte. Une opération de ce genre nécessite des frais considérables. Il n’est pas douteux que Vidine semble avoir eu des amateurs en nombre assez considérable et qu’il leur faisait verser de fortes provisions.

Il est au dépôt. »

L’escroquerie en elle-même est classique: il s’agit d’une variante de la « Lettre de Jérusalem », apparue en France à la fin du XVIIIe siècle et théorisée par Vidocq en 1836, et toujours largement employée par d’innombrables escrocs qui agissent par email. Mais l’idée de transplanter ça en Russie, et de faire des richesses cachées un trésor pris sur les Bolchéviks, est nouvelle… et possiblement due à l’influence d’Ilf et Petrov.