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Le petit chien de Véra Krijanovskaia

Nous l’avons rappelé en introduction de Nahéma: la vie de Véra Krijanovskaia tournait intégralement autour de l’occultisme. Krijanovskaia était persuadée d’être en communication avec J. W. Rochester. On peut trouver dans la presse française du XIXe siècle divers témoignages à ce sujet, mais l’un des plus curieux reste un texte de sa soeur, Lioubov, publié initialement dans une revue italienne puis traduit dans le numéro 1 de 1898 de L’Humanité intégrale, une revue ésotérique.

Le revoici ci-dessous, à titre de document sur cet auteur décidément hors normes.

Lioubov Krijanovskaia

Cas télépathique d’un chien

Lioubov Krijanovskaïa

Il s’agit d’un petit chien, qui était le favori de nous tous, de Véra surtout; et un peu à cause de cette affection et des gâteries exagérées qui en étaient la conséquence, l’animal tomba malade. Il souffrait de suffocations et toussait, le médecin vétérinaire qui le soignait ne dit pas que la maladie fût dangereuse, Néanmoins Véra s’inquiétait beaucoup; elle se levait la nuit pour lui faire des frictions et lui donner sa médecine ; mais personne ne pensait qu’il pût mourir.

Une nuit, l’état de Bonïka (c’était le nom du petit chien) empira tout à coup; nous eûmes de l’appréhension, surtout Véra, et on résolut que dès le matin on irait chez le vétérinaire, car si l’on s’était contenté de le faire appeler, il ne serait venu que le soir.

Donc, au matin, Véra et notre mère partirent arec le petit malade; moi je restai et me mis à écrire. J’étais si absorbée que j’oubliais le départ des miens, quand tout à coup j’entends, le chien tousser dans la chambre voisine. C’était là que se trouvait sa corbeille, et, depuis qu’il était malade, à peine commençait-il à tousser ou à gémir, quelqu’un de nous allait voir ce dont il avait besoin, lui donnait à boire et lui présentait sa médecine, ou lui ajustait le bandage qu’il portait au cou.

Poussée par l’habitude, je me levai et m’approchai de la corbeille; en la voyant vide, je me rappelai que maman et Véra étaient parties avec Bonïka, et je restai perplexe, car la toux avait été si bruyante et si distincte qu’il fallait rejeter toute idée d’erreur.

J’étais encore pensive devant le berceau vide, quand près de moi se fit entendre un de ces gémissements dont Bonïka nous saluait quand nous rentrions; puis un second qui semblait venir de la chambre voisine; enfin une troisième plainte qui semblait se perdre dans le lointain.

J’avoue que je restai saisie et prise d’un frémissement pénible; puis l’idée me vint que le chien était expiré; je regardai l’horloge; il était midi moins cinq minutes.

Inquiète et agitée, je me mis à la fenêtre et j’attendis les miens avec impatience. En voyant Véra revenir seule, je courus vers elle et lui dis à brûle-pourpoint: Bonïka est mort.

– Comment le sais-tu ? dit-elle, stupéfaite.

Avant de répondre, je lui demandai si elle savait à quelle heure précise il avait expiré.

– Quelques minutes avant midi, me répondit-elle. Et elle me raconta ce qui suit :

Quand elles étaient arrivées chez le vétérinaire vers onze heures, celui-ci était déjà sorti; mais le domestique pria instamment ces dames de vouloir bien attendre, vu que vers midi son maître devait rentrer, car c’était l’heure où il avait coutume de recevoir. Elles restèrent donc; mais, comme le chien se montrait toujours plus agité, Véra tantôt le posait sur le divan, tantôt le mettait à terre, et consultait la pendule avec impatience. À sa grande joie elle venait de constater qu’il n’y avait plus que quelques minutes avant midi, lorsque le chien fut repris d’une suffocation. Véra voulut le remettre sur le divan ; mais, comme elle le soulevait, elle vit tout à coup le chien ainsi que ses mains s’inonder d’une lumière pourpre si intense et si éclatante, que ne comprenant rien à ce qui arrivait elle cria au feu ! Maman ne vit rien ; mais, comme elle tournait le dos à la cheminée, elle pensa que le feu s’était mis à sa robe, et elle se retourna effrayée ; elle vit alors qu’il n’y avait pas de feu dans la cheminée, mais aussitôt après on constata que le chien venait d’expirer, ce qui fit que maman ne pensa plus à gronder Véra pour son cri intempestif et pour la peur qu’elle lui avait faite.

Plus tard Rochester, médianiquement interrogé, nous expliqua que la traînée de feu vue par Véra était le rayon électrique qui tranchait le lien entre l’âme et la matière1 ; c’est pourquoi il ne nous resta plus aucun doute que l’esprit libre de notre petit favori ne fût venu donner un dernier adieu.

À cette époque nous racontâmes le fait à tous nos amis ; mais nous fûmes seuls témoins; nous ne pouvons donc vous envoyer le certificat de témoins que vous désirez.

Mais vous, mon excellent ami, vous me croirez, n’est-ce pas ? Alors je suis suffisamment satisfaite d’avoir ajouté un nouveau fait à ceux que vous connaissez déjà dans ce genre de choses.

Je dois ajouter que ce chien se distinguait par une intelligence extraordinaire, que nous n’avons jamais pu retrouver en quelque autre animal de son espèce. Il pratiquait la charité, et une fois, étant à la campagne, nous avons pu observer, pendant huit jours, qu’il portait du pain et des ailes de poulet à un pauvre chien vagabond et affamé et qu’il le regardait manger avec une véritable satisfaction. Il jouait avec une poupée ; et, après sa mort, pendant la grande maladie de Véra, au cours de laquelle, comme vous vous rappelez, elle faillit mourir d’une inflammation des poumons, nous avons vu plusieurs fois, tant Véra que moi, Bonïka assis au pied de son lit.

Lioubov Krijanovskaïa

(Traduit du Vessillo spiritista de Janvier 1898).

1Il serait plus précis de dire : entre le corps charnel et le corps périsprital – Note du traducteur.

À propos de l’Extrême Orient russe et du chemin de fer

L’un des livres les plus improbables que nous ayons faits jusqu’ici est maintenant enfin paru : Sherlock Holmes en Sibérie, par P. Orlovets. Le projet, il faut bien l’avouer, était un peu fou : publier de la littérature russe n’est déjà pas ce qu’il y a de plus aisé. Mais quand en plus il s’agit de littérature populaire ancienne, à cent lieues de Tolstoï ou de Dostoïevski, on peut penser à un acte commercialement suicidaire.

Orlovets Couverture

Mais peu importe : à nos yeux, cette littérature est tout aussi importante. Elle est distrayante, mais en plus elle aborde des sujets qui ne le seraient pas forcément par ailleurs. Ainsi, il est question dans l’une des nouvelles de Sherlock Holmes en Sibérie, de la construction des chemins de fer russe en Extrême Orient. Un chantier qui fut colossal, et au sujet duquel Orlovets nous dresse un tableau particulièrement sombre : incompétence, corruption, détournements de fonds, tout ce qu’il y a de mauvais s’accumule sur ce secteur.

Orlovets aurait-il délibérément noirci le trait ? Pas nécessairement. Nous avons retrouvé un petit texte quasi-contemporain, publié en 1901 dans le journal français La Justice, qui traite du même problème. Sur l’auteur, un dénommé L. Casine, nous n’avons rien pu trouver. Mais la mention finale, « Traduit à Tien-Tsin, le 12 février 1901. Corps expéditionnaire de Chine », nous montre bien que nous avons affaire à un petit texte humoristique de circonstance, sans doute publié à l’époque par voie de presse. Et s’il nous a intéressé, c’est bien parce qu’il corrobore le témoignage indirect d’Orlovets, qui, rappelons-le, a été journaliste en Sibérie lors de la guerre contre le Japon.

Casine

Le Malheur

Conte russe, de L. Casine.

traduit par Servanine junior.

La Justice, n° 7679, 3 avril 1901.

« Monsieur le chef ! monsieur le chef ! l’ingénieur principal est sur la ligne ! »

Le chef de gare, un beau jeune homme, aux grands yeux noirs, et dont le menton était orné d’une petite barbiche fort soignée, saisit précipitamment sa casquette de service, mit ses gants blancs et, aussitôt, suivi de l’homme d’équipe qui venait de lui annoncer la venue de l’ingénieur principal, gagna le quai de la station.

D’un wagon de première classe descendit un personnage de petite taille, aux joues tombantes : c’était l’ingénieur de la ligne.

Sur son paletot entrouvert se détachaient, aux épaules, les étoiles de général1.

Cet important fonctionnaire adressa un salut négligent au chef de gare ; et, sans prendre la peine de se déganter, il présenta indolemment deux doigts à son subordonné.

« Faites garer les wagons de marchandises sur la voie de droite », ordonna-t-il brièvement, en s’adressant à un homme d’équipe, sans faire attention au chef de gare qui se tenait respectueusement derrière lui.

« Votre Excellence, dit celui-ci, dans vingt minutes doit arriver un train.

– Eh bien, télégraphiez à la station précédente qu’on l’arrête, répondit laconiquement l’ingénieur.

– Mais, Excellence, votre inspection durera au moins deux heures ?

– Mon inspection ? la révision de la ligne ? Bah ! ce n’est pas la première fois que je la fais. Monsieur, je sais ce que je dis.

Et le général gagna le buffet.

Ahuri, le chef de gare resta sur le quai, les yeux fixés sur son supérieur qu’il regarda s’éloigner. Tous les employés suivaient silencieusement le haut fonctionnaire.

« Quel malheur ! s’écria le chef de gare.

Et, à son tour, hochant la tête, il rentra dans son bureau. Que lui importaient, après tout, les décisions de ce gros homme qui commandait ainsi ? Jetant sa casquette dans un coin, il se laissa tomber sur son fauteuil et leva les yeux sur un portrait suspendu au-dessus de sa table.

Un sourire amer crispa ses lèvres.

« Pourquoi ? oui pourquoi ? » murmura-t-il en levant la tête, et en fixant le portrait. Avec tendresse il admirait ce beau visage de femme aux yeux bleus, à la chevelure blonde.

C’était sa femme. Elle avait consenti à l’épouser – il ne l’ignorait pas – pour avoir une situation et quitter la maison paternelle où elle n’était pas heureuse. Mais depuis cinq ans qu’ils étaient unis, il s’efforçait sans y parvenir d’attiser l’étincelle imaginaire dans l’âme de cette femme, indifférente et cependant si aimée ! Jamais elle n’avait pour lui la moindre « étincelle ». Découragé, il se laissa retomber sur son fauteuil.

Un coup de sifflet aigu se fit entendre, puis, aussitôt, un craquement sinistre et terrible à la fois le tira de sa rêverie.

Un train de voyageurs ralentissant sa marche entrait en gare, brisant les wagons de marchandises qui se trouvaient sur la voie. Le mécanicien avait bien aperçu le train qui lui barrait le passage, mais trop tard pour éviter le tamponnement, assez à temps cependant pour rendre moins terrible le choc.

Les voyageurs épouvantés se hâtèrent de descendre du train subitement arrêté.

L’ingénieur, sur le quai, toujours suivi du personnel de la gare, grondait furieusement :

« Eh bien quoi ? après ce qui vient de se produire, vous restez tranquillement dans votre bureau », dit-il au chef de gare qui, debout, regardant les wagons brisés, ne bougeait cependant pas.

« Vous êtes donc stupide ! De tels employés doivent être chassés ! Allez-vous en, je vous chasse, je vous chasse, entendez-vous, et je vais adresser immédiatement un rapport au ministre. »

 

Elle allait, répondant distraitement au badinage de deux petits garçons qui, devant elle, gambadaient. La route poussiéreuse qui conduisait à la forêt fut bientôt quittée par elle et les enfants qui, trouvant une herbe tendre et fraîche, s’y roulèrent en poussant de grands cris de joie.

Elle s’assit non loin d’eux, prit un livre dans sa poche, l’ouvrit et sembla lire. Et cependant elle ne lisait pas.

Éclairée par un joli soleil de mai, les yeux fixés sur un point de l’horizon, elle ressemblait tout à fait au portrait suspendu dans le cabinet du chef de gare.

Elle pensait à son mari. Était-elle blâmable de ne point l’aimer ? Elle ne l’avait jamais trompé, elle ne le tromperait jamais, mais époux et enfants lui seraient toujours étrangers.

Était-ce sa faute si l’officier de la garde lui plaisait mieux que son mari ? Et les rencontres journalières avec l’officier, étaient-elles blâmables si elles lui procuraient un plaisir qu’elle ne savait même pas définir ? Ah ! si rien ne la retenait… peut-être… mais !…

« Maman ! Maman ! regarde donc le joli papillon », s’écria un des enfants qui, avec son frère donnait la chasse à un papillon gris.

Elle interrompit un instant, sa rêverie et, mécontente, elle s’aperçut qu’il était temps de rentrer. Il allait falloir reprendre la vie triste et ennuyante, hélas !

Oui ! elle avait voulu arriver à une situation ; elle avait l’aisance, mais cette aisance mène lui était odieuse en ce moment.

 

Mais qu’y a-t-il donc ? Que de monde à la station… Une catastrophe, un déraillement, entend-elle dire et elle se met à courir vers la gare… Mon Dieu, qu’est-il donc arrivé, demande-t-elle, en se frayant un passage à travers la foule et en heurtant les débris des wagons brisés… C’est sa femme, répète-t-on autour d’elle…

La figure bien connue du bel officier de la garde parait devant elle sans qu’elle y fasse attention, elle n’a qu’une hâte : retrouver son mari qu’elle aperçoit tout seul, pâle comme un mort sous sa casquette de service et elle se dirige à pas pressés vers celui qu’elle n’aime pas mais que chacun délaisse et que le « général » vient de congédier.

Pourquoi son cœur bat-il si fort dans sa poitrine, pourquoi jamais son mari ne lui avait-il semblé si cher qu’en ce moment ?

« Ah, pense-t-elle, c’est que je suis coupable, bien coupable devant lui » et suivant l’idée qui lui vient, prompte comme l’éclair, elle se précipite vers lui, pour la première fois dans une étreinte passionnée, elle reste inanimée dans ses bras.

Lui regarde, hébété, ses grands yeux la fixent avec étonnement… Est-ce un rêve ? Mais non elle est là, contre lui, et à son tour il couvre de baisers fous sa figure et ses mains… « Chère adorée, ma joie ! tu m’as rendu la vie ; maintenant rien ne peut me toucher » murmura-t-il à sa femme, en lui prodiguant ses caresses. Et un bonheur qu’ils ignoraient avant de connaître leur mutuel amour, saisit leurs jeunes cœurs et leur fit oublier tout ce qui les entourait…

 

« Ainsi tu n’as peur de rien, de rien du tout ? » lui demandait-il le soir, devant sa fenêtre ouverte, tout en entourant de son bras la taille flexible de la jeune femme.

« Avec toi, non », répondit-elle, et elle le regarda dans les yeux avec une expression de tendresse infinie.

« Ah ! chère Nina, c’est que ces jours derniers, j’espérais obtenir de l’avancement, tandis que maintenant !…

– Monsieur le chef, une dépêche pour vous », annonça la concierge en tendant un papier.

Lui, d’une main tremblante, ouvre le télégramme.

« Eh bien Nina, cela veut sans doute dire que tout est fini.

– Chéri, notre bonheur ne fait que commencer… lis donc vite, ta Nina est prête à tout.

– Non, je ne peux, vois toi-même, répondit-il, lui passant la dépêche.

– Donne et regarde comme je suis brave… »

Et elle lit tout haut : « J’ai l’honneur de vous informer que vous êtes nommé chef de la station de N… sur la ligne de notre chemin de fer. »

 

Traduit à Tien-Tsin, le 12 février 1901.

Corps expéditionnaire de Chine.

1En Russie/les employés civils sont assimilés aux officiers et ont des grades comme dans l’armée – NdT.

Aux sources de la science-fiction russe moderne

Il est temps pour nous de revenir à nos premières amours, avec un récit de science-fiction, hélas inachevé, mais d’une importance rare pour l’histoire du genre, non seulement en Russie, mais sans doute au-delà.

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Le Soulèvement des machines, du grand poète Valeri Brioussov a été rédigé en 1908. Mais l’auteur l’a laissé en plan dès le chapitre deux, juste après avoir eu le temps, cependant, de mettre en place son univers futuriste. Et quel univers: téléphone, radio, télévision, réseaux, tout y est, jusqu’à cette conscience nouvelle qui pousse les machines à la révolte contre l’homme.

Le caractère inachevé et la brièveté du fragment fait qu’évidemment nous ne publions Le Soulèvement des machines qu’en numérique. Mais pour ceux que la pensée futuriste de Brioussov aura intéressés, nous ne pouvons que conseiller la lecture de ses autres oeuvres de science-fiction traduites en français: une pièce de théâtre, La Terre, parue dans notre anthologie Dimension URSS chez Rivière Blanche, et une poignée de nouvelles dans le recueil Les Derniers martyrs, paru chez l’éditeur québécois Keruss. L’ensemble est brillamment traduit par André Cabaret, qui a largement contribué à la redécouverte de cet auteur dans l’Hexagone.

Valeri Brioussov

Le Soulèvement des machines

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Édition numérique

1,29€. Disponible sur KoboAmazon Kindle, Google Play et Lulu.com

Octopolis, en un lointain futur.

Les machines, reliées en réseau à une centrale, obéissent aveuglément à l’homme qui ne sait même plus comment elles fonctionnent. Mais voilà que la révolte gronde.

Court récit resté hélas inachevé, Le Soulèvement des machines de Valeri Brioussov, rédigé en 1908, est un texte visionnaire dans lequel se trouve en germe nombre de thèmes devenus classiques de la science-fiction.

Traduit du russe par Viktoriya et Patrice Lajoye

Nikolaï Lvov et la France

Nous écrivions dans notre préface aux Nouvelles Contemporaines de Nikolaï Lvov, que nous avons été dans l’impossibilité totale de retrouver les originaux en russe de ces textes, et qu’il était bien possible qu’au moins certains d’entre eux aient été rédigés directement en français.

Lvov couverture

Jean-Paul Bourdon nous a écrit quelques mots à ce sujet, qui vont dans le sens de cette dernière hypothèse :

«Il est certain que ces nouvelles ont été écrites directement en français par Nikolaï Lvov, ça se voit à tous les paragraphes, entre autres, grâce aux innombrables erreurs de vocabulaire et d’expressions qu’il emploie et aux mots qui n’existent pas en français. La note d’Alexandre Baschmakoff [signalant la publication en russe d’une des nouvelles] (p. 169) est peut-être même un artifice littéraire pour créer un effet de réalité.

Cette langue bizarre va surprendre énormément les Français de France, du moins ceux qui connaissent la littérature du XIXe siècle et du début du XXe siècle: c’est le français des Russes de Saint-Pétersbourg, comme nous avons celui des Belges, des Suisses et des Québécois. Cependant, Lvov maîtrise tellement naturellement la langue française par ailleurs que ces incongruités ne gênent pas la compréhension de l’ensemble.

Lvov emploie encore des mots français qui n’ont plus cours chez à cette époque, comme le verbe «mander» (p. 37) qu’on trouve à toutes les pages des lettres de Mme de Sévigné, «gripper le raton» (p. 16) et «tranchées», qui entraîne même un calembour (un peu scatologique) digne de l’almanach Vermot: «Et le premier obus qui creva à une centaine de pas de moi, me causa des tranchées qui n’avaient rien de commun avec celles de l’ennemi» (p. 117).

Il est certain aussi que Nikolaï Lvov (et tous les intellectuels qu’il fréquente) connaît parfaitement bien la France, sa géographie (plusieurs de ses régions et de ses villes), son histoire, sa langue (même s’il la charge perpétuellement de scories très bizarres), son mouvement intellectuel et même ses lois. Plusieurs nouvelles mettent en scène des personnages de Français ou se passent carrément en France. C’est un fait remarquable et ce n’est pas par hasard. Voici des détails qui montrent qu’il connaît parfaitement ce qui se passe en France :

• «C’est toujours lui qui […] rachetait les joyaux déposés chez la tante» (p. 74). Il aurait dû écrire «chez ma tante». Cette expression d’argot française est récente, elle est datée de 1823. Lvov la connaît. Pas mal, non?

• Il est aussi au courant de cette coutume française sur le flagrant délit d’adultère qui consiste à acquitter le mari qui tue sa femme s’il la surprend au plumard avec un autre (mais l’inverse n’est pas vrai). Lvov signale cette particularité p. 81 et 148.

• Lvov fait allusion par exemple aux francs-tireurs dans la nouvelle qui se passe pendant la Commune de Paris. Ce nouveau terme de «francs-tireurs» s’est répandu justement après la Commune de 1870 et à propos de ce soulèvement populaire. Un franc-tireur est un civil qui prend les armes et qui combat sans faire partie d’une armée. Attitude qui a scandalisé tous les militaires de l’époque. Dans un ouvrage paru presque aussitôt, Gobineau, triste sire anti-démocrate, anti-républicain, anti-peuple et théoricien raciste des races, a fustigé ces civils qu’il conseillait de fusiller sur place. Le franc-tireur, c’est la très grande angoisse des conservateurs à l’époque (si le peuple se soulève et s’arme, où va-t-on, ma brave dame?). L’auteur était parfaitement au courant de ce débat en France. Bravo Lvov!

• Lvov cite même l’opérette française nunuche Les Cloches de Corneville (1877) qui se passe en Normandie et où l’on chante, entre autres, «Vive le cidre de Normandie»! Imaginez Lvov écoutant ça à Pétersbourg…

Ce recueil de nouvelles illustre parfaitement les formidables relations entre la France et les écrivains et les intellectuels de Pétersbourg à cette époque.»

Jean-Paul Bourdon

3 juin 2015

Fin du concours « Sherlock Holmes en Sibérie »

Et voilà, c’est la fin du concours consacré à Sherlock Holmes en Sibérie.

Neuf personnes en tout nous ont signalé leur partage en commentaire, dont huit pour une participation réelle.

Nous avons donc demandé à notre fille de nous dire un chiffre de 1 à 8. Elle a choisi le 6. Le gagnant est donc: Pat!

Merci de bien vouloir nous envoyer votre adresse postale par email (lingva.france@gmail.com). Nous vous enverrons votre exemplaire dès que le livre sera paru, ce qui ne devrait plus tarder.

Merci à tous pour votre participation!

Jeunes, anarchistes et révolutionnaires à Saint-Pétersbourg

Il est temps de publier la deuxième partie de ce diptyque artificiel que nous avons appelé « Les étudiants ». À la différence du personnage central de Pacha Toumanov, qui était un parfait crétin, ceux des Ombres du matin, de Mikhaïl Artsybachev sont intelligents, et motivés à rendre le monde meilleur. Idéalistes, humanistes, ils embrassent clairement la cause anarchiste, et certains d’entre eux rejoindront le mouvement révolutionnaire.

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Mais arriveront-ils forcément à quelque chose de mieux que Pacha Toumanov? On connaît la position nihiliste de Mikhaïl Artsybachev, aux yeux de qui même les autres nihilistes ne trouvent pas grâce.

Court roman psychologique, Les Ombres du matin nous offre un portrait fascinant de trois étudiants russes du début du XXe siècle, à l’aube de la révolution. Malgré le volume de cette œuvre, nous avons fait le choix de ne la faire paraître qu’en numérique, et ça aussi, c’est une révolution.

Mikhaïl Artsybachev

Les Ombres du matin (Les étudiants – 2)

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Édition numérique

2,99€. Disponible sur Kobo, Amazon Kindle, Google Play et Lulu.com

Dans les deux nouvelles regroupées artificiellement sous le nom de Les Étudiants, à savoir Pacha Toumanov (1901), et Les Ombres du matin (1905), Mikhaïl Artsybachev, faisant preuve d’un nihilisme total, s’attaque avec une vigueur rare aux étudiants, qui du haut de leur jeunesse pensent pouvoir révolutionner le monde, et qui finalement ne valent pas grand chose, soit parce qu’ils sont trop naïf, ou incultes, ou réellement bons à rien…

Ils sont trois adolescents de province, dans le court roman Les Ombres du matin: Pacha, Lisa et Dora. Trois idéalistes qui rêvent d’avoir une vie meilleure et de changer le monde. Qu’à cela ne tienne: ils seront étudiants… humanistes… anarchistes… révolutionnaires! Mais tout n’ira pas forcément comme ils le souhaitaient, dans cette ville froide qu’est Saint-Pétersbourg.

Traduit du russe par Albert Touchard Texte révisé par Viktoriya et Patrice Lajoye

Époque – Salon du livre de Caen

Malheureusement, nous n’avons pas été parmi les heureux gagnants du tirage au sort qui a déterminé le choix des éditeurs présents au Salon du Livre de Caen, rebaptisé cette année « Époque ».

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Cependant, une bonne part de notre catalogue se trouvera sur la table commune gérée par la librairie Brouillon de Culture. Donc, amis caennais et bas-normands, n’hésitez pas à vous y rendre! Le salon est gratuit et se tiendra de demain à dimanche soir.

Pour plus d’informations, c’est ici.