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Henry Lion Oldie – Nous sommes le théâtre (interview 2008)

Le site russe Mir Fantastiki a publié il y a quelques jours une copieuse interview des deux membres du duo constituant Henry Lion Oldie, à savoir Dmitri Gromov et Oleg Ladyjenski, résident actuellement à Kharkiv (ancienne Kharkov, Ukraine).

Nous reproduisons cette interview (avec autorisation), en préliminaire de notre critique à venir de la trilogie de la Voie de l’Épée, chez Keruss, et d’une autre interview spécifiquement consacrée à cette oeuvre, que nous réaliserons dans les semaines à venir. Vous pouvez donc dès maintenant faire un peu plus connaissance avec leur univers singulier. Traduction précédemment parue sur Russkaya Fantastika.

« Nous sommes le théâtre »

Conversation avec Henry Lion Oldie

« Etre présent dans ses livres »

Mir Fantastiki – Bonjour Dmitri et Oleg. En cette époque de prédominance de la lecture facile, vous écrivez des oeuvres dont la compréhension n’est pas aisée. A quoi cela est-il lié?

Henry Lion Oldie – Nous écrivons les livres que nous voudrions lire nous-mêmes et, soit dit sans offenser personne, en nous choisissant nous-même comme repère. Il en résulte un rythme, une structure, une problématique, un système d’images: cela nous plait, nous pensons et sentons ainsi. Nous sommes très contents qu’il se trouve que beaucoup de gens pensent et sentent de la même manière. Il faut respecter le lecteur – il le mérite. Il faut le réjouir à l’aide d’une polyphonie sans lui refiler « une chanson de malfaiteurs » en lieu et place d’une symphonie.

MF – Presque tous vos romans, récits, nouvelles sont pleins d’idées, de philosophie…

HLO – Raconter simplement une histoire ne nous intéresse pas. Une histoire est un moyen de dire quelque chose de plus, ce qui tourmente et ne trouve pas d’autre issue. Entre les lignes, sous le texte et au-dessus de lui, il doit exister quelque chose qui représente la cause de la création d’une oeuvre. Ce que vous nommez « philosophie » est la position de l’auteur, ses réflexions, sa manière de voir le monde, ses propres déductions. S’il n’y a pas de tout cela, l’auteur est alors absent de son livre. C’est un fast-food à la sauvette.
Quant à nous, nous voulons être présents dans nos livres: saluer le lecteur, discuter avec lui, partager son opinion, échanger des idées et des sentiments. Il ne faut parler à haute voix, en public que quand il y a quelque chose à dire et quand il y a quelqu’un qui veut écouter, sinon il vaut mieux de garder le silence. C’est cela, notre philosophie – littéralement « amour de la sagesse ».

MF – Un autre caractère distinctif de vos livres est l’abondance de la poésie. Cependant, dans certains milieux, les épigraphes et les interpolations en vers sont considérées comme une béquille littéraire. Vous ne partagez probablement pas cette opinion?

HLO – Une béquille? Vous appelez ça une béquille. Mais avec ce genre du support on peut courir beaucoup plus vite et plus loin que n’importe quel snob des « milieux littéraires » mentionnés. La poésie est une manière particulière de voir le monde: concentration maximale des images, ressort du rythme, mélodie du coeur. Nous ne remarquons pas quand nous passons de la prose à la poésie. La poésie est la plus inutile chose au monde à en juger du point de vue de l’esprit utilitaire quotidien, et c’est pourquoi c’est la plus grandiose.

MF – Vos livres intriguent déjà par leurs titres. Qu’est-ce qui apparaît en premier: le titre ou l’oeuvre lui-même?

HLO – Ça dépend. Parfois, un titre apparaît dès le début du travail, mais parfois, à la fin même. Nous n’avons pas un seul stéréotype. Bien que nous cherchons pendant longtemps avant de comprendre: le titre de ce livre doit être comme ça et pas autrement. En tout cas, nous n’avons jamais été d’accord pour changer les titres de nos livre sous la pression des éditeurs ou des collègues.

MF – Dans vos livres vous soulevez souvent un sujet qu’on peut caractériser comme « la magie quitte le monde » (Tirmen; Mag v zakone – Le magicien légal; Bogadelnia – Asile; Tcherny balamout – Le trublion noir). Pourquoi ce phénomène est-il si intéressant pour vous?

HLO – Il ne s’agit pas de la magie. C’est la création, la source créatrice qui s’en va, laissant la place à la communication mécanique de l’information (Mag v zakone). La mort, en tant que revers imprescriptible de la vie, disparaît, et la vie quotidienne se retrouve déséquilibrée d’une manière capitale et assez dangereuse (Tirmen). La structure habituelle du monde, le système de lois qui font la réalité s’en vont et le nouveau monde avec de nouvelles lois ne devra pas obligatoirement plaire  à ses habitants (Tcherny balamout). Une structure bien logique en apparence, crée sur un fondement si discutable comme « une larme d’un enfant » (Bogadelnia) s’écroule. Etc.
Nous écrivons presque toujours sur « l’époque de changements » parce que le caractère statique n’inspire pas. Et le vrai visage des héros se révèle lors des changements, d’un conflit précis, c’est comme un papier de tournesol. Le mot « magie » n’est pas tout à fait bien placé – âme, source créatrice, étincelle… Si l’âme quitte le corps mais que le corps continue à vivre – à quoi sert ce vampire?

MF – Est-ce qu’il est possible d’après vous, qu’un jour, l’avenir décrit par vous dans le space opera Oekoumène devienne réalité?

HLO – Pourquoi pensez-vous que c’est l’avenir qui a été décris dans « Oekoumène » (il n’y a pas de version française de ce livre, NdT)? Il n’y a rien de tel. Toute cette oeuvre s’est bâtie sur notre notion de l’« Univers alternatif ». Déjà, à l’époque où nous écrivions le cycle d’Achaïe, nous avons mis en usage pour nous les notions de Nomos et de Cosmos. Le Nomos est un monde habité, une civilisation; parfois un monde privé ou une patrie. Le Nomos des Grecs anciens, leur  Oekoumène se présente ainsi: à l’ouest se trouve l’Océan, au Sud, l’Ethiopie, au Nord, les Hyperboréens. La Chine est totalement absente du Nomos d’un Grec! La Chine ne faisait pas partie de son « monde ». Il ne peut même pas être question de l’Amérique. Dans le Nomos de l’Egypte ancienne, il n’y avait pas d’Antarctique. Dans le Nomos des Chinois il n’y avait pas d’Irlande! Alors, nous avons eu une idée: que pourrait-il arriver si les Nomos ne se réunissaient pas en notre monde mais au contraire, se dissipaient dans tous les sens en formant des planètes/mondes différents. C’est ainsi que le cosmos de l’Oekoumène est apparu. Nous sommes étonnés des critiques qui disent que c’est l’avenir de l’humanité… De quelle humanité?  La Terre n’y est pas prévue. Cela a été écrit clair et net dans tout le roman : « Aucune Terre n’a jamais existé. C’est un mythe! ». La Terre n’est mentionnée que comme le berceau mythique possible de toutes les nations.
Autre chose: il n’y a qu’une partie des idées évolutionnistes, par exemple celles que nous avons énoncées dans Oekoumène,  qui peuvent se réaliser un jour: l’énergétique biologique, l’humanité sous forme d’ondes – c’est possible et même désirable.

MF – Vous écrivez souvent sur l’évolution de l’homme vers une nouvelle qualité. Pensez-vous qu’à force de développement et de perfectionnement des technologies informatiques cette transition s’est rapprochée?

HLO – On parle déjà d’un ordinateur qui aura pour une base un code génétique humain. Dans ce cas-là, le système biologique qui s’appelle « gens » peut changer à un point qu’on ne peut même pas imaginer. On a déjà parlé tout à l’heure de la variante de l’évolution de l’humanité sous forme d’ondes, qui prévoit le renoncement aux corps albumineux…
Mais même si le corps obtient le préfixe « super », que faire avec la mentalité? Avec l’âme? Ici l’ordinateur ne pourra pas aider. Et cela fait peur d’imaginer un « super-homme » qui pense par catégories schémas: bouffer, s’accoupler, régner sur ceux qui sont plus faibles, s’emparer du pouvoir… Dans ce cas-là, le « super-homme » se transforme automatiquement en un monstre. C’est cette question qui nous trouble toujours: comment rester un homme alors qu’on te met une bombe atomique dans chaque main, qu’on t’insère une aile à réaction dans les lombaires et des viseurs laser à la place des yeux?

« L’éternel est bien semblable dans tous les siècles »

MF – Qui, d’après vous, est le meilleur écrivain de romans d’anticipation? Pourquoi?

HLO – Nous, cela va sans dire. C’est comme ça. Et est-ce qu’il y a une autre réponse à une question pareille?

MF – Comment considérez-vous le fantastique actuel?

HLO – Comme n’importe quel courant, il se divise en deux-trois sous-genres principaux. Un grand pivot de la littérature de masse qui satisfait la demande et remplit les espérances: si on veut des elfes – il y aura des elfes, si on veut un vaisseau spatial – il y aura un vaisseau spatial, si on veut une aiguille dans l’oeuf de Kochtchei – il y aura une grande aiguille dure (Allusion à Kochtcheï l’Immortel, personnage maléfique des contes populaires russes, dont l’âme se trouve à l’extérieur de son corps, souvent dans un oeuf – NdT). Par dessus ça, deux affluents: l’avant-garde marginale – provocante, épatante, parfois irritante comme toute forge où l’on fabrique les procédés de l’avenir; et la tradition littéraire au meilleur sens du mot, où le fantastique sert tout d’abord de méthode, de moyen de vision originale du monde faisant ressortir la problématique du texte, cassant les stéréotypes des lecteurs et des auteurs.
C’est comme dans un conte: un tsar avait trois fils…

MF – Comment considérez-vous les tentatives de certains écrivains d’achever des livres des grands maîtres? Par exemple, le Cycle des Princes d’Ambre de Roger Zelazny « prolongé » par deux trilogies de prélude écrites par John Gregory Betancourt.

HLO – Malheureusement, nous connaissons pas de cas où ce genre d’achèvement ou de suite (préquelle, séquelle, etc.) s’est approché même un petit peu du niveau d’un texte initial. On comprend bien le désir de finir un roman inachevé d’un maître. On comprend aussi le désir de prendre part au monde littéraire d’un grand prédécesseur. Mais les résultats déçoivent.

MF – Et des oeuvres d’amateurs « inspirées par »? Comment prenez-vous les « fanfics » et les parodies de vos livres?

HLO – Si c’est drôle – on rit. Si un texte est bien écris, on sort la personne qui l’a écrit de la catégorie de « fanfics » et on l’applaudit. S’il n’y a que des coups d’épingles et des révérences à notre adresse – on hausse les épaules.
En général, tout commence par des parodies et des pastiches. Nous ne sommes pas une exception. Mais tôt ou tard, l’enfant n’est plus au berceau. C’est bien si la passion pour les « fanfics » reste un hobby agréable, mais il voudrait que ça soit un terrain de départ pour quelque chose plus grand et plus indépendant.

MF – L’apparition d’Internet est-elle un fait positif ou négatif pour votre oeuvre?

HLO – C’est un fait positif du fait que c’est un nouvel instrument utile: il est plus facile de communiquer avec un éditeur, d’obtenir l’esquisse d’une couverture de la part d’un dessinateur et proposer des modifications. On peut aussi trouver rapidement une information nécessaire pour le travail lorsqu’on n’a pas d’ouvrage de référence sous le coude.
Autre chose: il faut être fort et avoir des nerfs solides pour subir l’effervescence régulière des forums et des boîtes e-mail: « Il est au bout du rouleau! Il ne fait que du gâchis! C’est de la bibine… ». Faut-il donner raison  au lecteur ou pas? Mais la plupart des propos se caractérisent par l’absence de tact (et d’orthographe aussi), et l’écrivain a une nature fine, créatrice: son coeur fait souvent les siennes. Et voilà donc, on se rappelle, en prenant un petit verre de valocardine (un vaso-dilatateur, NdT) la phrase suivante: « Reçois avec la même indifférence l’éloge et la calomnie… » (phrase du poème de Pouchkine, Monument, NdT). Vous connaissez la suite…

MF – Comment en Ukraine prend-on ce fait que vous écrivez en russe? Est-ce que vous avez essayé d’écrire en ukrainien?

HLO – On le prend normalement. On lit nos livres et en demande encore. Les marginaux-nationalistes ne comptent pas. On édite souvent nos livres en ukrainien: sept livres ont déjà parus et on en prépare encore. Nous révisons les traductions nous-mêmes, nous connaissons bien l’ukrainien, nous sommes bilingues tous les deux. Pour les éditions en ukrainien, Oleg Ladyjenski traduit souvent ses vers lui-même, pour éviter tout problème.

MF – Est-ce que la création d’oeuvres littéraires doit être une profession ou faut-il gagner de l’argent par un autre moyen?

HLO – C’est à chacun de décider lui-même. Le mot « doit » est inadmissible. La littérature ne doit rien à personne, même à ses créateurs. Dans les années 1990, malgré que pendant six ans aucun de nos livres ne soit paru, nous avons décidé de faire de la création d’oeuvres littéraires notre profession. A l’époque, nous n’avions pas d’argent mais d’un ‘autre côté, si nous travaillions quelque part en dehors de la littérature, nous ne pouvions pas trouver assez de temps pour travailler à nos livres. En définitive, cela à marché. Mais le coup d’épée aurait pu être dans l’eau.
C’est bien si tu as une propriété et que tes paysans te versent une redevance. Alors, tu peux consacrer tout tes loisirs à un hobby littéraire. Mais quand tu rentres à la maison après un déchargement de wagons ou après un travail de dix heures dans un bureau, il est très difficile de retourner au livre sur lequel tu as commencé à travailler. Cependant, nous n’oserons pas donner de conseils à un écrivain débutant.

MF – Est-ce que notre réalité ressemble au fantastique des 18-19 siècles?

HLO – Qu’est-ce que ça veut dire – « ressemble »? Le critique Chasles (critique et historien de la littérature anglaise, 1798-1873 – NdT) a désigné La Peau de chagrin de Balzac en utilisant l’expression de « fantastique de notre époque». Dostoevski considérait « La dame de pique » de Pouchkine comme un fantastique excellent. Walter Scott écrivait: « A quoi nous pouvons nous résigner, tout au plus, quand il s’agit du fantastique? C’est sa forme qui éveille chez nous des idées agréables et attrayantes ». Sir Walter parlait plus ou moins de Hoffmann.
Si on analyse tout ce fantastique, alors, ni la vieille comtesse, ni le morceau de peau qui accomplit les désirs, ni le vase d’or, n’existent dans notre réalité. Mais d’un autre point de vue, la passion du jeu, et surtout, du gain à tout prix, le désir de réaliser un rêve, le rêve d’un artefact qui répond à des demandes – cela n’est-il pas éternel? Et voilà ce qu’il advient lorsqu’on parle de la présence d’Internet alors il n’y a rien de commun. Mais si on parle d’éternel – tout est semblable dans tous les siècles…

MF – Et comment voyez-vous l’avenir dans 100 ans?

HLO – Nous tâchons bien de vivre dans le présent sans essayer de faire d’avance des pronostics pour demain. En effet, c’est un grand problème: beaucoup de gens vivent dans le passé ou dans le futur, et ont ainsi plein de problèmes superflus dans le présent. C’est pourquoi dispensez-nous de cela, quand l’avenir viendra, alors, on verra.

« La création collective est une chose habituelle »

MF – Utilisez-vous un ensemble de règles en travaillant en tandem?

HLO – Nous avons trois règles:
– Ecrire ce que nous voulons et comme nous le voulons.
– Ne pas avoir honte de ce que nous avons écris.
– Ne jamais signer un contrat si un livre n’est pas fini.

MF – Quelles qualités doivent posséder les coauteurs?

HLO – La douceur et la rudesse – toute chose à son temps. La compréhension que le but est plus important que les ambitions, le sens des particularités d’un texte de l’autre, le savoir-faire de nourrir le feu, l’assiduité même si ça semble banal, et du talent, bien sur.

MF – Pour pouvoir vous voir il vous suffit de monter ou descendre l’escalier. Comment cela s’est passé?

HLO – Il y a huit ans, nous habitions dans des quartiers différents de la ville et nous avons décidé de changer d’appartement pour vivre dans le même bâtiment. Voilà comment ça s’est passé. Pour que le rêve se réalise, il faut beaucoup y travailler, c’est bien connu.

MF – Comment peut-on caractériser vos relations?

HLO – Dites-le nous vous-même: comment deux personnes doivent se traiter l’un-l’autre quand dès le plus jeune âge, elles jouent ensemble dans un théâtre, font du karaté, écrivent ensemble des livres, se partagent des honoraires sans scandales, habitent dans un (le) même bâtiment et avec tout cela, ont toujours envie de se voir?

MF – A quel point la création collective est-elle d’actualité maintenant?

HLO – Si on jette un coup d’oeil sur l’histoire de l’humanité, la création n’est pas d’actualité. Dieu a crée l’homme à son image – en ce sens que le Créateur a crée le créateur. Et une grande majorité de la population de la Terre se passe bien de la création, de cette image, tant individuellement que collectivement.
C’est une autre chose dans l’art: la création collective est une chose habituelle. Le théâtre: troupe, metteur en scène, dramaturge, dessinateur… L’orchestre symphonique ou, au moins, le quatuor d’instruments à cordes. Le cinéma: beaucoup de gens prennent part dans la création d’un film. Dans la littérature, à vrai dire, c’est plus complexe: l’individualisme est plus fort mais il y a aussi pas mal de duos, par exemple Ilf et Petrov, les frères Strougatski…
Il nous semble que le nombre de personnes qui travaillent à une oeuvre n’est pas le plus important. C’est le résultat qui l’est.

MF – Allez-vous publier des livres sous votre vrai nom?

HLO – Mais, comme qui dirait, nous nous ne cachons pas non plus, maintenant. Le nombre de lecteurs qui savent qui sont les Oldie dépassent de beaucoup celui de ceux qui ne nous connaissent pas. Ça fait déjà depuis longtemps que sur le dos des couvertures de nos livres se trouve la photo de Gromov et de Ladyjenski avec une petite information. On regarde et on comprend tout de suite – on les connaît. De plus, des annotations contiennent souvent les vrais noms.
Mais enlever complètement le nom de plume – ça ne sert à rien. Nous nous sommes tellement habitués à lui qu’il est devenu notre deuxième peau; et le lecteur lui-même s’y est tout autant habitué que nous. Henry Lion Oldie n’est pas la simple somme de deux personnes: Gromov et Ladyjenski, c’est aussi une troisième qualité particulière et il serait injuste de la perdre.
D’ailleurs, nous avons publié des livres écris en solo, sous nos vrais noms: un recueil de récits et de nouvelles de Gromov, Pout prokliatykh (La voie des maudits) et un recueil poétique de Ladyjenski, Most nad okeanom (Le pont au-dessus de l’Océan). Et actuellement aussi, nous pensons déjà à commencer la création d’une série particulière de nos livres où, au lieu du pseudonyme seront placés nos noms réels. Pourquoi pas? La « campagne des Cents Fleurs »: il y aura des séries avec les Oldie, il y aura d’autres séries où apparaîtrons Gromov et Ladyjenski.
Le principal est que les livres puissent trouver leurs lecteurs. Le reste n’est pas important.

MF – Une dernière question. Comment pouvez-vous vous caractériser? Etes-vous acteurs, spectateurs, metteurs en scène?..

HLO – Nous somme le Théâtre. Qui commence par le vestiaire (proverbe pour les spectateurs en Russie –  NdT).

Boris Strougatski – Avec qui êtes-vous, maîtres de la culture (interview 2008)

Avec qui êtes vous, maîtres de la culture ?

(paroles de Maxime Gorki – NdT)

Boris Strougatski

Le patriote ne mutile pas sa conscience

Le 27 octobre dernier [2008], Boris Strougatski a accordé un entretien au magasine de Saint-Pétersbourg Delo (Affaire). Il s’exprime longuement sur la situation actuelle de la Russie.

Propos recueillis par Nikolaï Koudine, traduits et publiés ici avec l’autorisation de la rédaction (www.idelo.ru). Cette traduction a été publiée initialement sur Russkaya Fantastika.

Delo – La communauté culturelle russe se présente  de plus en plus  souvent scindée non par des principes de style ou de genre mais par des principes idéologiques. A quoi cela peut-il être lié, à votre avis ? Est-il vrai qu’en Russie, l’écrivain signifie plus que le littéraire et a une responsabilité devant la société qui déborde le cadre d’un texte lui-même?

Boris Strougatski – Cet état de choses spécifique (« le poète est plus que le poète ») apparaît quand il existe une opposition réelle au pouvoir. Et puisque en Russie, l’opposition au pouvoir (cachée en règle générale) existe traditionnellement toujours, le littéraire (s’il pense, en général, à ces sujets), même sans le savoir, se retrouve responsable devant la société. D’ailleurs, cela ne le fera pas écrire mieux…

En ce qui concerne le schisme de la société culturelle, il a toujours existé : « adeptes de l’eurocentrisme », « slavophiles », « partisans de l’idéologie officielle ».  Ce schisme n’avait aucun rapport  à l’« activité civique ». C’était une sorte d’« état constant des esprits » dont je ne prends pas sur moi d’expliquer l’origine.  Il y avait  aussi des adeptes de « l’art pour l’art » mais ils étaient toujours rares.

D. – Et de ce fait, comment considérez-vous l’appel des fondateurs et des participants du fonds régional et public de contribution culturelle « Monde du Caucase », adressé aux hommes de culture, où il était dit que « la guerre régionale déchaînée par le régime fantoche de Mikheil Saakachvili contre les habitants de l’Ossetie du Sud n’est rien d’autre que le début de la guerre non annoncée que l’Amérique et leurs alliés européens ont déchaîné contre la Russie » et que la Géorgie « sert d’arme entre les mains du nouvel « empire du mal » » ?

BS. – Cela a sans aucun doute l’air d’une récidive des traditions les plus pourries et les plus viles des temps soviétiques. Quels que soient les motifs qui guident  ceux qui ont signé cet appel, on le perçoit comme un acte de servilité. En même temps, je peux admettre que certains signataires de cet appel énonçaient leur opinion tout à fait  sincèrement mais le problème est que cela a l’air d’une expression bien connue : « Il est facile et agréable de dire la vérité en face de son souverain ! » Il me semble que dans des situations pareilles, l’artiste doit se guider non sur l’utilité politique et non même sur ses convictions politiques mais seulement sur le bon sens et la charité.

D. – Qu’est-ce que vous pensez de l’affirmation qu’un vrai patriote, malgré ses propres réflexions, doit soutenir sa Patrie en cas de la guerre sans prendre en considération si cette guerre est juste ou non ?

BS. – Un vrai patriote (et toute personne en général) doit agir – toujours ! – de telle manière qu’il ne mutile pas sa conscience. Dans ce cas-là, le problème est qu’il y a la Patrie et il y a le Pouvoir. Pour un homme de qualité ce n’est pas la même chose. A propos de cela, Saltykov-Chtchedrine conseillait malicieusement de ne pas confondre « Patrie » et « Son Excellence ». Le piège réside justement dans ce fait que le Pouvoir, en général, cherche adroitement à s’identifier à la Patrie et il faut être bien attentif pour ne pas tomber dans ce piège. Surtout si on prend en considération que c’est justement un Pouvoir malhonnête, avide et immoral qui arrive mieux que d’autres à se métamorphoser en Patrie.

D. – Vous avez dit récemment que vous aviez perdu vos derniers espoirs de « dégel de Medvedev »…

BS. – Le recommencement évident de la guerre froide contre l’Ouest, la guerre chaude au Caucase et maintenant, de plus, la crise économique – tout cela ne favorise pas beaucoup le dégel, au moment où le « serrage de boulons » s’impose soi-disant tout seul à l’esprit. Mais il y a aussi autre chose : la crise et la baisse brutale des prix du pétrole feront mettre la société et tout d’abord le Pouvoir devant un choix important : soit essayer de garrotter le pays, de l’« éberluer », de plonger avec abnégation dans l’époque de Brejnev-Andropov et attendre le rebondissement / la réorganisation / la révolution suivant(e) (nous sommes déjà passé par tout cela et nous nous en souvenons); soit se décider, tout de même, à des réformes longtemps attendues – donner une vraie liberté au business, mettre la bride à la bureaucratie (lui interdire les fonctions de haute justice) et arrêter l’intervention de l’Etat dans l’économie en lui laissant seulement le droit (et l’obligation !) d’être une « mise en accord délicate » des processus économiques. Alors on réussira peut-être : nous avons déjà terminé tant bien que mal l’école primaire du Marché, maintenant, il est temps de passer en sixième.

D. – Dans vos premiers romans écris avec Arkadi, c’est le progrès technique qui devenait le moteur du développement de l’humanité et vos personnages avaient plein d’enthousiasme pour voler dans d’autres espaces etc. Est-ce qu’il est possible de trouver en réalité une idée qui pourrait réunir les gens, si ce n’est du monde entier mais, au moins, de la seule Russie ?

BS. – On ne peut pas trouver des idées – Elles VIENNENT d’elles-mêmes. Toutes seules. Elles poussent du tréfonds des masses de millions, en formant la Résultante des Millions de Volontés qui, selon Léon Tolstoï, est justement le courant de l’histoire. On peut beaucoup s’ingénier  et inventer des  idées terribles, redoutables et belles pour TOUS mais elles ne vont pas marcher car elles ne concordent pas avec le courant de la Résultante qui existe déjà, qui existe toujours mais  peu de gens peuvent saisir son essence et, en effet, probablement personne n’est capable de la formuler dans tous les détails.

D. – Beaucoup de gens tombent d’accord que le récit Choses cruelles de notre temps (traduit en français sous le titre Le Dernier cercle du Paradis – NdT) est prophétique. Quelles sont les causes de ce fait que la Russie, comme une condamnée,  est arrivée à cette formule d’existence décris par vous il y a longtemps ? A quel moment a-t-elle pris cette décision, peut-être fatale, et avait-elle une chance de l’éviter ?

BS. – Je ne pense pas du tout que la voie  des Choses cruelles de notre temps soit le résultat d’«une décision fatale et incorrecte » ! Au contraire ! Il s’agit justement de ce fameux « chemin battu de la civilisation ». Nous ne nous trouvons maintenant qu’au début de ce chemin et cherchons tout le temps à replonger dans l’impasse bien connue d’où nous sommes sortis tout à l’heure avec beaucoup d’efforts.

D. – Est-ce que cela signifie que la civilisation suit d’un pas assuré la voie du consumérisme sans idées, et la Russie lui oppose une « impasse totalitaire » ? Est-ce qu’il existe une troisième possibilité ?

BS. – C’est justement comme ça : aujourd’hui, le chemin de la civilisation (le courant de la Résultante) est ce que vous appelez « la voie du consumérisme sans idées », mais moi, je  le nomme comme le mouvement vers la Société de la Consommation – directement dans les bras du Monde des Choses cruelles de notre temps. La Russie est portée à retourner dans l’impasse totalitaire habituelle, mais elle n’y  arrivera probablement pas : la Résultante est la Résultante partout y compris en Russie. La seule différence est que la Russie aura besoin de plus de temps et qu’on fera plus de bêtises et, à Dieu ne plaise, on versera plus de sang en acompte de l’écartement par rapport à la voie naturelle du développement. (C’est d’ailleurs le sort tout à fait probable de toute « troisième » possibilité).

D. – Quel monde parmi ceux que vous avez créés dans vos romans rappelle plus que les autres la Russie actuelle ?

BS. – C’est probablement l’Etat de Sarakch dans L’Ile habitée. C’est le pays qui a perdu la guerre mais a gardé l’esprit d’empire, le pays couvert de tours émettrices, le pays pauvre et traditionnellement autoritaire, avec, de plus, l’inflation bien sûr.

D. – Et qu’est-ce qui exerce le rôle de ces tours sur lesquelles s’appuyait le régime totalitaire de Sarakch ?

BS. – La forte mentalité post-féofale des grandes masses est la base réelle sur laquelle se forme encore et encore l’autoritarisme en Russie. Suivant cette mentalité, les autorités ont toujours raison. Plus haut elles sont placées, plus elles ont raison mais s’il y a des problèmes, alors, ce sont des « boyards qui sont coupables ». Cette mentalité a déjà presque 500 ans et il nous faudra encore  beaucoup de temps pour nous en débarrasser. Elle sera encore pendant longtemps un pivot inoxydable de notre Résultante.

« Une idée, un ennemi, un chef » – qu’est-ce qu’on peut construire avec cet assortiment standard en dehors d’un Etat autoritaire ? Mais les porteurs d’un autre assortiment sont rares, divisés, ne sont pas sûrs d’eux-mêmes. Il nous faut deux générations libres de la propagande et de la pratique de l’autoritarisme – c’est seulement comme ça qu’une Nouvelle Russie peut apparaître . La question est d’où prendre ces deux générations ?

D. – Quel est rôle de la soi-disant opposition libérale dans notre Sarakch ? Qu’est-ce qui l’empêche d’obtenir un bon soutien dans la société ?

BS. – Des libéraux, des anti-libéraux, des politologues objectifs ont déjà tellement écris à ce sujet que je n’ai rien à ajouter. Comme on le sait, les libéraux professent l’idée que la démocratie-liberté se transforme tôt ou tard en saucisson. Au début, le peuple a bien aimé cette idée facile. Mais très tôt, il était devenu clair qu’il fallait d’abord obtenir cette démocratie-liberté, et le chemin était difficile, il fallait passer par l’avilissement de l’argent, il fallait réduire la production militaire, passer par le chômage, la vie chère. Finalement, le peuple fut déçu par les libéraux. Maintenant, ils sont obligés de recommencer dès le début, y compris la création d’un nouveau parti avec de nouveaux leaders. Moi personnellement, je les  respecte tous : Tchoubaïs, Gaïdar, Khakamada, Nemtsov, le jeune Ryjkov et bien sûr Kasparov, mais je crains que ce ne soient pas à eux de créer un nouveau parti libéral. Le peuple n’aime pas les hommes politiques malchanceux. Le motif pour lequel tu as quitté le chemin n’est pas important mais si tu l’a quitté alors, la course est finie pour toi, cherche une autre occupation.

D. – Dans une de vos  interview, vous avez opposé la notion de « grande puissance » à l’Etat juste et heureux. Est-ce que cela signifie que la voie vers la démocratie en Russie  passe par le démontage du système et de la conscience d’empire ?

BS. – La conscience d’empire est un élément important (peut-être le plus important) de notre mentalité post-féodaliste. A l’époque d’une mondialisation universelle et du progrès accéléré cette mentalité a particulièrement l’air d’un vestige barbare. Sur la voie vers la démocratisation des manières d’empire ne peuvent fonctionner que comme des freins sociaux et économiques. Soit nous nous en débarrassons, soit nous nous éternisons dans le passé.

D. – Renoncer à la conscience d’empire signifie renoncer aux ambitions d’un des principaux joueurs sur l’arène internationale. Est-ce que la Russie peut se le permettre ?

BS. – La Russie DOIT se le permettre. Sinon on reste dans cet impasse totalitaire – le Burkina Faso (dont le nom signifie justement « le pays des hommes intègres – NdT) avec des euromissiles.

D. – Qu’est-ce qui peut changer la situation, l’améliorer dans les conditions où on ne peut rien espérer de la bonne volonté du pouvoir ?

BS. – « Le changement de situation » ne se passe que par voie de changement de situation – catastrophe sociale, crise profonde, grande défaite militaire (à Dieu ne plaise). Par exemple, la crise qui a éclaté maintenant est parfaitement capable de « changer la situation ».  Mais dans quelle direction ? C’est là la question. Dans la direction du « serrage de boulons » ou du dégel suivant ? On le saura bientôt.

Quelques nouvelles avant Noël

Ce blog a été longtemps silencieux, ce qui n’est pas trop dans nos habitudes.

Mais nous avons été particulièrement occupés, ces dernières semaines, entre une rencontre autour de Nady Baschmakoff à la Lucarne des Écrivains à Paris, et les Rencontres de l’Imaginaire de Sèvres, deux manifestations qui furent, pour ce qui nous concerne, un succès.

Nos projets en cours avancent: Les Premiers feux, notre anthologie de science-fiction russe ancienne, est quasi-prête. Mais surtout, nous avons avancé sur quelque chose qui nous tenait à cœur: grâce à une aide du programme littéraire Transcript de la Fondation Prokhorov, que nous remercions, nous allons pouvoir, publier un roman inédit en français de Boris Strougatski, publié initialement en russe en 2003 sous le titre de Бессильные мира сего (Les Impuissants de ce monde).
La parution est donc prévue pour septembre prochain sous le titre de Les Inhibés.
Ce sera l’occasion pour nous d’inaugurer une nouvelle collection: « Nuits blanches ». C’est pour nous une bonne nouvelle à plus d’un titre, puisque cela fait déjà plusieurs années que nous travaillons sur l’œuvre des frères Strougatski pour le compte des éditions Denoël.

Ainsi, Lingva, après un an d’existence,  va commencer à aborder, tout doucement, les auteurs contemporains.

La fin de cette première année est d’ailleurs pour nous l’occasion de tourner une page.
Jusqu’ici, nous avons conservé le blog Russkaya Fantastika à titre d’archive. Mais d’ici quelques jours, celui-ci devra être fermé. Nous avons réédité l’essentiel des articles dans l’ouvrage Russkaya Fantastika (disponible aussi en numérique aux éditions ActuSF), et nous rapatrierons les interviews sur le blog de Lingva. Mais le reste disparaîtra.

 

Comment meurt un roman

Notre travail sur Nady Baschmakoff n’est pas achevé. En dehors des Dieux puissants, celle-ci a aussi écrit une poignée de nouvelles et surtout un autre roman, Le Lion de Saint-Marc, qui fut lui-aussi publié dans la Revue Contemporaine, dirigée par son père.

La publication de ce roman a commencé en 1912, et comme d’ordinaire, celui-ci paraissait en feuilleton, parmi les articles. Mais voilà qu’au début de l’année 1913, la formule change, et le roman se retrouve expulsé en supplément littéraire: un honneur, en quelque sorte, un moyen de le mettre en avant… mais aussi un moyen de le détacher de la revue.

De fait, la Bibliothèque nationale de France ne possède pas ce supplément. Nous nous sommes lancés dans des recherches, et avons mis à contribution le service du Prêt en Bibliothèques universitaires. La bibliothèque de Nanterre a répondu présent: elle a pu fournir une centaine de pages, en trois lots séparés. Puis la BULAC (Bibliothèque universitaire des Langues et Civilisations, qui chapeaute maintenant la bibliothèque du Centre d’Études Slaves) a pu fournir de nouveaux lots.

Mais il manque encore 46 pages. Et il n’existe nulle autre collection publique française les contenant. Nous avons fait appel au réseau étranger, bien sûr, mais la situation est encore pire. La Revue Contemporaine était éditée en Russie pour le public francophone. Mais elle était ouvertement impérialiste… Il n’en reste rien dans les principales bibliothèques russes. Et rien du supplément dans les autres pays.

Voilà comment meurt un roman. À notre grand regret. Le Lion de Saint-Marc débutait comme un des romans fantastiques historiques de Vsevolod Soloviev, en prenant place à Venise et en faisant évoluer des personnages dotés de pouvoirs particuliers.

Reste l’éventualité de la découverte d’une collection privée. Mais l’espoir est faible.

A propos des « Dieux puissants » de Nady Baschmakoff

Au temps de Pythagore, Hipparque, un jeune Spartiate, a commis un meurtre. Rongé par le remords, il pense que l’initiation aux mystères de Samothrace, sous la surveillance d’un disciple d’Orphée, lui permettra de retrouver une raison de vivre. Mais sa rencontre avec Atalante, la belle et farouche fille du grand prêtre, tentée par le culte d’Hécate, redoutable déesse de la Lune, va tout bouleverser. Entre l’ordre et la discipline prônées par les Cabires, c’est-à-dire les fils de Zeus, les Dieux puissants, et la liberté sans limites offerte par Hécate, Atalante devra choisir.

Couv Baschmakoff

Les Dieux puissants est un roman publié en français en 1910 et 1911 par Nady Baschmakoff, une obscure inconnue.

Nady Baschmakoff est en fait Nadejda Bachmakova, la fille de l’historien et journaliste Alexandre Baschmakoff, qui dirigeait alors La Revue contemporaine, où parut Les Dieux puissants. Destinée aux Français installés en Russie, La Revue contemporaine n’avait pas un lectorat important, aussi le roman passa-t-il totalement inaperçu. Nady Baschmakoff publia ensuite un second roman, puis survint la Première Guerre mondiale, suivie de la Révolution. Après avoir un temps suivi l’Armée blanche, Alexandre Bachmakov s’exila en France, où il devint professeur à la Sorbonne. Sa fille, elle, resta à Saint-Pétersbourg, où sa culture et sa formation lui permirent de subsister, notamment en travaillant comme guide de musée. Cependant, du fait qu’elle était issue de la noblesse, elle fut régulièrement inquiétée par les autorités soviétiques. En 1928, elle fut une première fois arrêtée : elle passa quelques mois en prison avant d’être finalement libérée. Mais en 1935, elle fut déportée, en même temps que son fils, à Astrakhan, et finalement condamnée à mort le 17 janvier 1938. Elle fut fusillée le jour même.

Baschmakoff

Nady Baschmakoff sera réhabilitée, comme tant d’autres victimes de Staline, en 1992. Mais son œuvre reste alors encore ignorée. Nous l’avons redécouverte en feuilletant La Revue contemporaine. Et ce texte nous étonna : par son audace – un roman antique : une rareté dans la littérature russe, où peu, en dehors de Dmitri Merejkovski, ont osé aborder ce genre. Mais aussi par son propos. Armée de tout le savoir de l’époque sur la Grèce antique, Nady Baschmakoff place son intrigue au cœur de quelque chose que nous connaissons encore fort mal : la religion des mystères. Et dans ce cadre elle nous offre une tragédie, non pas vraiment grecque, mais digne d’un opéra de Georges Bizet ou de Giacomo Puccini.

Un texte rare, tant par son propos que par sa forme : voilà tout ce qui plaît aux éditions Lingva. Il nous fallait donc le rééditer. Mais la version donnée par La Revue contemporaine, la seule connue, était régulièrement défectueuse : coquilles et fautes typographiques s’y accumulaient. Nous avons donc dû effectuer un important travail éditorial, avec la complicité de Samuel Minne, que nous remercions encore. Nous avons aussi fait appel à Véronique Jobert, professeur émérite à l’Université de Paris-Sorbonne et directrice de La Revue russe. Grande spécialiste de l’histoire russe des années 1920 et 1930, elle a accepté d’ouvrir ses archives personnelles et de nous offrir une préface. Nous lui devons aussi le portrait de l’auteur, qui illustre cette note.

Dans quinze jours environs, le roman Les Dieux puissants reparaîtra. C’est ainsi qu’en quelque sorte nous vous offrons une double résurrection : celle d’un auteur et celle d’une œuvre.

Illustrer le futur en URSS, c’est fini

Illustrer le futur en URSS aura été une sacrée aventure. Décidé sur une coup de tête cet été, fabriqué dans la lancée, ce projet ne demandait qu’à naître, après des années de recherches et de découvertes dans ce domaine.
Mais voilà, nous sommes un micro-éditeur, et qui dit micro-éditeur dit aussi micro-tirage.
Or les micro-tirages, quand il s’agit de livres en couleur, ça ne le fait pas encore. Ce n’est pas vraiment la faute de notre imprimeur, car on atteint ici clairement les limites actuelles de cette technologie. Bref, comme nous vous l’avions déjà dit: une partie du premier tirage du livre était défectueuse. Nous avons dû voir avec l’imprimeur où se trouvait la source du problème, résoudre la chose, puis refaire les exemplaires en question. Cela a pris du temps, et s’il y a bien une chose que nous n’aimons pas, c’est faire attendre ceux qui nous ont fait confiance et qui ont passé des précommandes.
Au final, tout a été résolu cette semaine: nous avons reçu les exemplaires en question, et nous les avons expédiés dans la foulée (surveillez bien votre boîte aux lettres, amis lecteurs).
Mais à partir de maintenant, nous conservons les quelques exemplaires qui restent pour les salons à venir et retirons donc
Illustrer le futur en URSS de la vente, en attendant d’être en mesure de pouvoir assurer un tirage plus important et donc moins risqué.

Merci à tout ceux qui nous ont aidés dans cette aventure: ce fut passionnant à réaliser et à mener.

Alexandre Beliaev méconnu

Les rares photographies, souvent terriblement retouchées, d’Alexandre Beliaev connues en France font de lui un personnage très sérieux, très docte. Et chez Lingva nous n’avons pas fait mieux avec la photographie que nous avons choisie pour notre site… Un type sévère, terrible. Bref, pas très avenant.

Prenons quelques exemples, de toutes époques, :

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Ajoutons à cela son portrait officiel, utilisé par les éditions en langues étrangères soviétiques:

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Et donc une version étrange, retouchée à l’extrême:

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Bref, il ferait presque peur.

Pourtant, nous aurions dû faire un peu plus attention, car l’année dernière, Alexandre Beliaev a été fait citoyen d’honneur de la ville de Smolensk. Divers ouvrages et articles ont été publiés. Et à cette occasion, sa fille, Svetlana, a ouvert quelques archives photographiques.
C’est un tout autre Alexandre Beliaev qui se dévoile, notamment au travers de tout une série de photos nommée « les grimaces »:

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Cet aspect clownesque de sa personnalité était finalement tout à fait prévisible quand on sait qu’il a longtemps fait partie d’une troupe de théâtre amateur de Smolensk:

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Enfin, on sait bien que son oeuvre, notamment dans la série de nouvelles narrant les exploits du professeur Wagner, est remplie d’humour.  Mais ces photographies contribuent encore à en faire un personnage attachant.

 

Sources:

http://smolensk.rusplt.ru/index/doch_pisatelia-fantasta_alexandera_beliaeva_o_tom_kak_on_pridumyval_siuzhety_svoikh_romanov_i_otkuda_vzialas_ideia_golovy_professora_douelia-10289.html

http://smena.ru/news/2004/03/16/2238/

http://smolnarod.ru/politroom/svetlana-belyaeva-otec-kak-tvorcheskaya-lichnost-sformirovalsya-v-smolenske/

http://www.nkj.ru/archive/articles/16565/

http://www.e-reading.club/bookreader.php/1022817/Bar-Sella_-_Aleksandr_Belyaev.html

http://archivsf.narod.ru/1884/aleksander_belyaev/

 

Quelques nouvelles

Ça y est, nous avons reçu une partie du stock d’Illustrer le futur en URSS. Une partie seulement, car nous avons constaté un léger soucis sur certains exemplaires, léger, mais déjà de trop pour nous permettre de les envoyer à nos lecteurs. Donc retour à la case imprimerie. Ce contretemps devrait toutefois être bref, et il ne nous empêche pas d’expédier leurs exemplaires aux premières personnes qui ont précommandé ce livre. Surveillez donc votre boîte aux lettres: il arrive.

Photo du 11-09-2015 à 14.02

 

Par ailleurs, nous avons tardé à faire la version numérique de L’Île des navires perdus d’Alexandre Beliaev, là encore pour une raison technique. Une bonne partie des illustrations s’insère intimement dans le texte. En voici un petit exemple:

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Ce type d’insertion ne peut pas être rendu dans un fichier epub. De ce fait, nous avons finalement fait le choix de faire des epubs avec uniquement le texte. Seule la version en vente sur Google Play (une version en pdf) sera dotée des illustrations. Nous ne pourrons donc que conseiller cette version. L’ensemble sera en ligne sous peu.

« L’Île des navires perdus » est paru

Et voilà. Nous sommes le 31 août, il est 20h.

Comme convenu, le concours que nous avions lancé pour gagner un exemplaire de L’Île des navires perdus d’Alexandre Beliaev s’achève. Nous avons tiré au sort le gagnant parmi ceux qui ont partagé la note à ce sujet sur leur blog, sur Facebook ou Google + et le gagnant est: Jérôme Charlet!

Toutes nos félicitations à lui, et merci à tous d’avoir participé!

À partir de demain, le roman commencera à être diffusé.

Controverse: épiloque – la conclusion d’Eugène Séménoff

La réponse d’Eugène Séménoff ne tarde pas. Elle consiste simplement en l’introduction d’une nouvelle chronique, et n’appelle plus de discussion. Séménoff énumère les erreurs d’Hippius, tout en signalant au passage avoir eu des échanges de lettres « fort courtoises » avec Brioussov: certes, il n’y eu aucun nom d’oiseau d’échangés, mais il est permis de douter de la courtoisie des lettres en question, lesquelles étaient, pour celles qui ont été publiées par le Mercure de France, d’une sécheresse assez prononcée.

 

Lettres russes

E. Séménoff

Mercure de France, février 1908

Madame Hippius, dans ses Notes sur la Littérature russe de notre temps, me fait l’honneur de parler de mes modestes efforts à faire connaître aux lecteurs du Mercure les différents courants de la littérature russe. Mais elle est trop sévère pour moi, et elle a tort. Elle commet la même erreur qu’a commise M. Valère Brussoff, avec lequel nous échangeâmes des lettres fort courtoises, d’ailleurs, sur le même sujet.

Mme Z. Hippius occupe une place très marquée dans la littérature russe, et, dans toute controverse littéraire, elle devient forcément partie. Elle ne peut donc pas être juge. Qu’elle nous laisse, donc, à nous critiques, le soin de juger ses propres œuvres comme celles de ses égaux ou rivaux.

Comme ses lecteurs, d’ailleurs, nous aurons plus d’intérêt et de profit à lire ses œuvres que sa critique de ses adversaires en littérature et en philosophie. Mme Hippius taxe de « gaffe » ma tentative d’exposer les « théories » qui ont cours actuellement dans les milieux littéraires russes, et elle rapetisse trop son ex-compagnon d’armes, M. Tchoulkoff. Mais puis-je même protester contre cette sévérité, vu que, dans le même article, elle affirme que « la littérature, au sens qu’a ce mot en Europe, existe à peine en Russie ». Pouchkine, Dostoievsky, Tolstoï (qu’elle me permette d’ajouter, au moins, Gogol, Lermontoff et Tourgueneff) ne sont que des « maîtres » isolés. Je demande respectueusement à Mme Hippius elle-même, si une telle affirmation concernant la littérature, – même si l’on met son origine dans les écrits de Lomonossoff, – est scientifiquement sérieuse ? Que fait-elle de l’époque de Catherine II ? de celle de Pouchkine et de ses disciples (Gogol y compris) ? des cercles littéraires et de la critique des années 30 et 40 ? et de tout ce milieu où purent naître et apparaître enfin Dostoievsky, Tourguéneff, Gontcharoff, Pissemsky et Tolstoy lui-même ? Je ne parle pas de Nekrassof, dont je m’occupe plus loin, ni de la littérature des années 60 ; je laisse de côté Chtchedrine, je passe sous silence le roman à tendance, puis la littérature démocratique des années 70 (Ouspensky, Zlatovratsky, etc.).

Je ne puis vraiment pas souscrire à une pareille thèse qui fait commencer la vraie littérature russe au groupe « symboliste » (Mme Hippius dit : « notre groupe symboliste »), né « dans l’année 1895 environ ». Qu’est, à côté de cette affirmation, ma soi-disant « gaffe » ?

Justement la presse russe est tout entière à fêter aujourd’hui le trentenaire de la mort de Nekrassoff, qui est notre plus grand poète national après Pouchkine et Lermontoff, et que « sa génération » mettait même au-dessus d’eux. L’anecdote est célèbre qui représente Dostoievsky en dispute avec un étudiant aux funérailles de Nekrassoff, les premières grandes funérailles populaires d’un écrivain qu’on ait jamais vues en Russie. Dostoievsky qui, le 30 décembre 1877 (11 janvier 1878), au cimetière, parla le premier, commença son discours en ces termes : « Messieurs, bien que Nekrassoff vienne, par son talent, après Pouchkine et Lermontoff… !

– Avant », cria une jeune et forte voix d’étudiant.

Dostoievsky regarda le jeune homme, hissé sur une grille, et dit :

« Non, après…

– Avant…

– Après, vous dis-je », fit Dostoievsky calme et sûr de lui-même.

Cette scène caractérise bien la « querelle littéraire » des deux générations, mais elle symbolise aussi le culte que toutes les générations vouaient à la littérature. Je dirai même – et je ne serai certes pas le premier – que, souvent, toute la vie intellectuelle de la Russie s’est concentrée dans la littérature, dans les milieux littéraires, que la littérature russe a rempli souvent seule un rôle social, un rôle civilisateur. J’ai eu maintes occasions de le dire ici même. C’est un fait acquis à l’histoire. Mais prendre ce fait et baser sur lui l’affirmation de l’absence de littérature, de milieu et de traditions littéraires, c’est vraiment trop paradoxal.

[Nous coupons ici cette chronique, qui quitte la controverse pour diverses informations.]